Il serait dommage de réduire "All that Jazz" à une comédie musicale simpliste. Il est vrai que le genre s'attarde davantage sur le travail des chorégraphies et des chansons. Ici, il est davantage question d'un homme au rythme de vie survitaminé et surentouré de femmes dont l'homme use et abuse. Que le Spectacle commence ! bénéficie d'un background axé sur la comédie musicale mais tout l'enjeu du film repose sur cette vraie-fausse autobiographie (et étonnante prédestinée) de son réalisateur, Bob Fosse. Ayant été foudroyé par une attaque cardiaque mais miraculeusement rétabli, l'homme profite de ce film pour faire part de son ressenti sur la mort. Et c'est avec un démarrage très symbolique qu'il démarre ce long-métrage, sous l'interprétation d'un excellent Roy Scheider, il se retrouve dans une pièce remplie d'éléments qui le renvoient à sa carrière et il converse avec une jeune, jolie et pulpeuse femme en blanc. Très vite, le film fera prendre conscience au spectateur que le réalisateur discute de son oeuvre sur la Terre, avec La Mort !
Dans le genre désormais très standardisé de la comédie musicale, le film de Bob Fosse se présente à la limite de l'oeuvre expérimentale, une oeuvre à même de bouleverser le genre, preuve en est puisqu'il est le lauréat de la Palme d'Or ex-æquo avec Akira Kurosawa pour Kagemusha. Une comédie musicale qui a tellement su jouer et contrecarer les codes du genre que le Festival de Cannes s'est laissé emporter par le propos du film. Si ce dernier peut se voir taxé d'être une propagande prétentieuse de la personnalité de Bob Fosse qui s'érige en brillant chorégraphe, metteur en scène d'exception et vil séducteur, il faut reconnaître que Bob Fosse s'y ouvre comme jamais. Outre sa prise de conscience sur le fait qu'il ait privilégié sa vie professionnelle et surtout la danse au profit de sa vie privée, il montre surtout un personnage aussi talentueux que détestable, dont l'infidélité n'a pas de limites. L'homme est atteint d'une fixation addictive au pouvoir, et il jubile de son pouvoir de décision sur les oeuvres qu'il met en scène. Il jouit de cette chance et en abuse avec les femmes, aussi bien ses danseuses qu'il pousse à bout, que son ex-femme et que sa nouvelle copine qu'il tente de contrôler sa vie. Le chasseur n'aime pas être chassé. Obnubilé par les femmes et le sexe, il trouve un véritable réconfort dans la danse et surtout dans la mise en scène et sa manière de raconter une histoire. Mais au bout de tant d'années de carrière, c'est un homme qui sent n'avoir pas utilisé son talent et l'art qu'il emploie pour révéler sa véritable personnalité, et c'est quand il met en scène une comédie musicale extrêmement sensuelle, à la limite de l'érotisme qu'il se révèle le plus personnel, le plus proche de la vie de son auteur.
Mais au-delà de l'infidélité et de son addiction suggérée au sexe, il semble que le personnage soit tellement fasciné à fréquenter que même son ex-femme cocufié ne peut se défaire de sa présence. Tous ceux qui l'entoure ont conscience de l'importance de côtoyer un individu aussi fou mais aussi fêtard que ce Joe Gideon. Il faut noter l'incroyable performance de Roy Scheider qui arrive à donner l'impression qu'il a toujours été un danseur et un chorégraphe quand bien même il ne danse presque jamais. C'est dans cet art qu'est le mouvement des corps que l'homme s'accomplit. Il ne vit que pour cela et il le fait ressentir dans son rapport à autrui. Il n'est disposé à la discussion que lorsqu'il s'agit de danse ou de son travail, toutes ses conquêtes il les aura trouvé dans ce milieu de la danse et du show-business. C'est un homme passionné jusqu'à l'extrême puisqu'il préfère s'atteler au travail plutôt que garder sa fille. Cette dernière et la nouvelle copine de son père prennent conscience de cela et mettent au point un spectacle amateur à domicile pour avoir l'attention de leur père. Un père qui ne fréquente, du moins dans le film, sa fille que lors de cours de danse.
Pas une Palme d'Or pour rien, le film est extrêmement fascinant à analyser sur les caractéristiques de son personnage principal, aussi bien détestable qu'appréciable. Bob Fosse pousse le plaisir jusqu'au caractéristiques techniques car le film bénéficie d'une excellente mise en scène, d'une lisibilité incroyable pour les shows et de plans vraiment audacieux. Un film fou, mature, légèrement vantard, mais terriblement fascinant sur la personnalité de ce personnage et du cinéaste.