J'ai vu des films plus mutilés que cela, qui étaient bien plus évocateurs de ce que souhaitait l'auteur au final. Les rushes du Quichotte de Welles, par exemple...
Rappelons juste que le film commence par une adresse de Grigori Aleksandrov, le seul survivant de l'équipe de tournage, Matté et Eisenstein étant morts depuis. Il explique que les kms de pellicule filmée ont été conservés à Hollywood, qui avait commandé ce film à Eisenstein, puis interrompit la production et garda les rushes. Ce ne fut que 50 ans plus tard que la Russie récupéra ce matériau, et que l'on s'efforça de monter et de sonoriser ce qu'il y avait, même si tout n'avait pas été tourné.
Je ne vais pas résumer la structure du film, mais il est très déroutant, dans la mesure où l'on passe sans transition de passages strictement documentaires, comme la corrida, dont Eisenstein saisit bien la violence primale, à la "romance" terriblement cruelle et sèche du cultiveur de cactus, dont il manque visiblement bien des éléments de contextualisation (le contexte d'oppression sociale est trop vite évoqué). Toute une partie, celle qui devait s'appeler "Soldadera", n'est composée que de plans fixes avec Aleksandrov qui explique (assez nébuleusement) en voix off l'intention d'origine.
Alors oui, il y a des fulgurances visuelles (celles qui me touchent le plus, c'est cet espèce d'Eden du couple dans un hamac, au début), mais je vais être franc : on a l'impression qu'Eisenstein ne savait pas encore vraiment dans quelle direction devait aller son film, et peut-être vit-il avec soulagement ses rushes confisqués.
Que viva Mexico ! est un objet visuel en mouvement qui contient des plans à juste titre restés célèbres, mais qui manque encore cruellement de polissage avant de faire un vrai film.