En 1987, John Boorman réalisait Hope And Glory, un film autobiographique autour de son enfance londonienne sous les bombardements. Trente ans plus tard, le cinéaste anglais revient sur une autre période de sa vie : son service militaire, effectué pendant la guerre de Corée. Loin de la tension habituelle qui donne à son œuvre une rare puissance en lui permettant bien souvent de souligner son propos, Queen And Country développe beaucoup d’humour et de légèreté pour simplement évoquer son entrée dans l’âge adulte à une époque de changements importants. C’est drôle et touchant, très agréable sans jamais être suranné. Tendre et vivant.
C’est un grand metteur en scène qui se raconte, et ce faisant, n’oublie jamais le spectateur : la photographie, sans être extraordinaire, est toujours propre, le cadre toujours lisible, et les effets de mise en scène parsemés çà et là jouent parfaitement avec l’imaginaire du personnage principal, ce jeune conscrit qui s’ouvre à la vie, à la camaraderie et à l’amour. Ce gros plan de sa belle, légèrement surexposé, qui dit le rêve dont il la pare, ou cette séquence de la première cigarette qu’il raconte depuis un fauteuil douillet tandis qu’il revit la scène. Le dernier plan du film encore, fixe, sur une caméra qui tourne, tourne, et finalement s’arrête : c’est tout le film en quelques instants, John Boorman nous raconte comment il est venu au cinéma tout en nous disant au revoir. Un film mémoire sans fioriture, honnête, direct. C’est beau mais surtout, c’est simple, humble et profondément humain.
Les comédiens sont excellents et le duo contrasté, formé par Callum Turner et Caleb Landry Jones, fonctionne à merveille. L’un dans la douceur et la retenue, très (trop ?) cérébral, très sentimental, l’autre dans l’exagération, spontané, entier, irrésistible. Les seconds rôles sont également parfaits, David Thewlis en tête qui compose un sous-officier qui ne respire que dans le cadre stricte du code militaire. Tous semblent prendre beaucoup de plaisir dans leur rôle respectif, on le comprend tant aucun de ces personnages n’est creux, plat ou inutile. Aucun n’est superflu, personne n’est mis de côté, personne ne sert de faire-valoir : tous disent quelque chose d’une humanité qui cherche sa place dans un ensemble qui les dépasse. Par cet équilibre idéal, John Boorman exprime encore une certaine humilité et une certaine idée de fraternité et d’égalité. Et nous berce d’une tendre utopie du cœur toujours mise à mal par le réel.
John Boorman clôt son œuvre et une vie dédiée au cinéma en se racontant humblement. Un très beau film pour nous rappeler que la vie et le réel ne se limitent jamais aux cadres dans lesquels on tente souvent de les insérer, que rien n’est bigger than life. Ni la reine, ni la patrie. En testament, il nous rappelle de ne jamais oublier d’être libre, à l’écoute de soi autant que de l’autre, et d’accepter les grandes souffrances comme on accepte les petits bonheurs.

Matthieu Marsan-Bacheré
Matthieu_Marsan-Bach
7

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le 8 févr. 2015

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