Making murderers
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le 13 févr. 2020
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Ce genre de film est hallucinant, et constater l'engouement qu'il provoque peut donner un certain vertige. Vertige de voir que le public privilégie la forme pour ne pas trop creuser sur le fond. Je ne vais donc pas particulièrement épiloguer sur l'histoire d'amour tragique, les acteurs ont plutôt bien fait leur boulot à ce niveau, et certaines scènes comme la danse contiennent un peu d'énergie (à la true romance). On va parler sociologie et politique, car le film envoie du lourd à ce niveau. Attention spoiler partout !
L'intégralité de ce film est basé sur la certitude que la police applique un racisme systémique envers les noirs et qu'en ayant tiré sur un policier, même en état de légitime défense et avec des preuves vidéos à l'appui, vous êtes condamné à mort (pas de justice donc) et que vous devez devenir un criminel et partir en cavale pour continuer à vivre. Est-ce que tout le monde a pris conscience de ce mécanisme qui coordonne toute la logique du film ?
Le problème, c'est que tout repose sur une affirmation : la police est raciste envers les noirs. Et elle est fausse. J'ai déjà développé de nombreux arguments, notamment dans ma critique de The Hate U Give, en reprécisant notamment le contexte (intervention de la police en milieu pauvres, traquenards, statistiques ethniques de criminalité, études des bavures policières...) qui tendent à prouver que cette affirmation est fausse, mais comme on est dans un film militant, c'était prévisible qu'on n'avait pas à attendre de sa part une vision rationnelle. Ici, la police est représentée par un flic blanc raciste qui persécute la population locale depuis des années (on en reparlera) et par une meute de flics qui abat un noir désarmé portant le cadavre de sa compagne après un simple "arrêtez d'avancer ou nous ouvrons le feu". C'est complètement ridicule, jamais la police ne tirerait sur un suspect désarmé en état de choc avec les deux mains visibles sans tenter une interpellation. Mais il faut bien donner du poids aux accusations de tirs sur des noirs "inoffensifs".
Voilà donc la base de cette pyramide sociologique (le racisme systémique anti-noir de la police) et voyons quelles pierres vont servir à étoffer le bâtiment.
L’interpellation sans motif (une embardée) est le premier pas nécessaire vers le contrôle au faciès abusif. La fouille continue (alors qu'elle pouvait être refusée sur simple demande), et comme le ton monte avec la passagère, le flic, sentant sa frustration raciste le titiller, sort son calibre et tire dans la jambe de la gêneuse (car elle était assez énervante et voulait sortir son portable). S'ensuit un combat éclair au cours duquel le flic (qui appelle à ne pas résister) est abattu. Nos protagonistes se demandent alors quoi faire, et comme la femme est avocate (meilleur niveau social que slim), elle balance que c'est la chaise électrique direct, et qu'il faut fuir la police sans se retourner. S'ensuivent des vols de voiture, séquestration de shérif, et petites magouilles pour poursuivre une cavale surprise. La vie bascule vite dans le crime quand on pense la justice raciste.
Nos héros s'arrêtent sur un parking, et sur celui ci, un type les reconnait, comme ceux qui ont abattu le flic qui s'en était pris à son cousin. Les crimes racistes de ce flic sont connus depuis des années mais jamais une plainte n'a abouti, bien sûr, puisque la justice raciste couvre les flics racistes (comme si on ne virait pas aujourd'hui des flics sur des affaires vieilles de plusieurs années sur les accusations des associations antitracistes). Le proche de la victime en profite pour applaudir nos héros et appeler à la mort des flics. A ce stade, tout le monde a vu la vidéo du meurtre du flic, qui fait le buzz sur internet (une des rares choses actuelles du film, la police met en effet en ligne les vidéos des interpellations qui font polémique. Cette manoeuvre était sensé désamorcer les polémiques d'accusations racistes souvent infondées (mais certaines vidéos ont montré des dérapages réels, car il peut y avoir des actes abusifs qui sont condamnés), mais dans les faits, ça n'a rien changé à l'image de la police). Si la police est sur les dents, la communauté noire est en liesse devant deux individus qui appliquent enfin une justice sociale (mais on se trompe volontairement de mot ici, il s'agit de justice raciale). Cette popularité leur vaudra nombre d'opportunités au sein de la communauté pour prolonger leur fuite.
En mauvaise posture, nos protagonistes en cavale tombent sur un flic noir. Ce dernier les dévisage, puis s'écarte pour les laisser partir. Il a vu la vidéo, et cautionne leur action. Est-ce qu'à ce moment, la société n'est pas morte ? Est-ce qu'on commence à choisir qui on arrête ou pas sur sa couleur de peau ? Voilà le communautarisme racial qui vient s'ajouter à la fête. L'ordre, le crime... c'est juste suivant la façon dont on interprète. C'est le point de non-retour du film, là, un flic trahit sa mission du bien commun pour le "bien" de sa communauté raciale, et parce qu'il nous avoue que le système est bien raciste. J'aimerais bien en discuter avec un policier noir dans la vie réelle. Car soit c'est un collabo, soit il doit vomir tous les jours en se regardant dans une glace.
A titre anecdotique, on peut mentionner le couple de démocrates blancs qui héberge nos cavaleurs et les cache malgré un contrôle policier musclé, petite tentative d'intégration par l'idéalisme et un peu de nuance sociale. Le choix de Chloé Sevigny n'a pas manqué de me faire rire, sa démarche de jouer régulièrement dans les films punks l'entraînant naturellement vers ce genre de déchet idéologique. Je ne connaissais pas l'acteur qui joue son compagnon, mais il a des cheveux violets sur sa photo de profil senscritique. On se dit souvent que ce genre de détail est trop gros pour être vrai...
Une séquence un peu absurde de sexe dans une bagnole pendant que des CRS viennent dissiper une manifestation anti-police de noirs, manifestation qui dégénère alors que notre couple atteint peu à peu l'orgasme. Voilà, en dehors de la lourdeur thématique Eros/Thanatos qui n'a aucun rapport avec son sujet, voilà une séquence qui ne dit rien, qui a presque l'air de remplir du vide en mimant un propos social. On constate toutefois que c'est la police qui se fait tirer dessus, ce qui est inhabituel. On prend aussi conscience de l'énorme soutien populaire que donne la communauté noire à ces deux fuyards qu'elle considère comme les nouveaux Bonnie & Clyde (ce qui est assez curieux, cela fait plusieurs films communautaires qui revendiquent leur antiracisme en s'associant avec la criminalité communautaire, qui prend alors des airs de "résistance" devant l'ordre étatique raciste).
Petite parenthèse avec un type qui leur arrange le coup pour la suite de cavale. Un noir qui compile plusieurs détails typés rap gangsta qui les conduira dans la gueule du loup. Un traitre allié aux blancs en uniformes par cupidité. Le plan sur les billets aux visages pâles résumera la chose.
On termine avec cette fusillade absurde où la police (majoritairement blanche) abat des noirs désarmés et inoffensifs (ce qui n'est pas le cas de tous les noirs désarmés, surtout au volant d'une voiture), il fallait conclure sur une note tragique qui enfonce le clou sur l'absence de justice notable qui règne aux Etats Units concernant la communauté noire, persécutée et malmenée. Les infos balancent qu'on leur a proposé un procès équitable, participant au maquillage de racisme ambiant (eux qui passent aussi leur temps à le dénoncer pour faire de l'audimat). On filme les réactions abasourdies des personnages qui ont traversé le film. On filme des billets de dollars sur lesquels n'apparaissent que des personnages blancs. On assiste alors au deuil général de la communauté et à l'intronisation de nos deux protagonistes comme martyrs du peuple noir. On lève le poing façon black panther à leur passage en corbillard, puis on se recueille sur leur cercueil.
Bon, pas besoin d'épiloguer, si on sait que l'idée sur laquelle repose le film est fausse, ce film n'a plus rien de logique, l'escalade criminelle n'est absolument plus justifiée (les personnages redeviennent responsables de leurs actes) et l'antiracisme fait preuve d'une complaisance plus que douteuse avec la criminalité qui a la bonne couleur de peau. Des raisons assez évidentes d'être sceptiques sur les volontés militantes du film, et sur la politisation d'Universal. Mine de rien, ce studio commence à produire beaucoup, beaucoup de films communautaires ces dernières années, qui affichent d'emblée ces postures idéologiques (black christmas 2019, american nightmare 4 , Blackkklansman, get out...). C'est bien d'exploiter une fibre commerciale, mais avec ce genre de scénario, ça va finir par ne pas rendre service à la paix sociale.
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Créée
le 22 févr. 2020
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