Queer
5.9
Queer

Film de Luca Guadagnino (2024)

C'est la mode des expos immersives.

Je sors de l'avant-première. J'avoue ne pas avoir lu le livre. Je suis embêté parce que je porte le plus vif intérêt à Guadagnino. Je vous préviens je "spoile" et je tire au gun, comme William.

Il est vrai que j'ai regardé ce film sans mes lunettes. (Ben, mets tes lunette! Tu verras, c'est génial!) Il était encore plus évident que tous les seconds plans extérieurs étaient en 3D. Ce n'est pas un film, c'est un chromo. Des personnages incrustés dans des cartes postales. Ç’aurait été un parti intéressant dans les années 80. On peut aimer.

Le plus gros problème est qu'il ne se passe pas grand chose. Normal, le protagoniste est oisif. Jugez de la richesse du scénario.

D'abord la description d'un quotidien homo avec une errance, des bavardages et un coup tiré. Puis un coup, cette fois-ci, de foudre et une romance.

Quel est le moment fort ? Ils baisent. J'avoue que j'ai été perturbé par le fait que Daniel avait les oreilles écarlates. Ça m'a rappelé l'histoire suivante :

- Vous savez pourquoi Broccoli a choisi Craig pour faire James Bond ?

- Parce qu'il a les oreilles en feuilles de choux.

Malencontreusement ce souvenir a donné une toute autre saveur à la scène de la pipe. Je pèse mes mots.

Puis un "voyage de noce". Non, ce n'est pas un voyage de noce. Le deal est que le jeune se fait offrir un voyage en échange de baiser deux fois par semaine. Il est attiré par une prostitution vénielle. Vous imaginez la même chose avec un vieux et une jeunette. Les féministes crieraient au scandale !

Heu, oui, en fait, j'imagine très bien. Mais dans Profession reporter (1975) et Le dernier tango (1972), il se passe vachement de choses en plus. Enfin... plus de choses dans le premier et la même chose dans le second. En plus, dans ces deux films, elles ne font pas la pute.

Mais moi, je comprends par-faite-ment ! Je dois vous avouer que, moi aussi, j'ai été pris sous l'aile de quelqu'un plus âgé et plus tard, moi aussi, j'ai été ému par plus jeune.

Non, ce qui me déçoit est que nos amants n'ont rien à se dire (ce qui ne renforce pas les dialogues). Le cadet n'apporte ni la fragilité, ni l'appétit de la vie, ni le génie de la jeunesse. Il se contente d'être le beau ténébreux qui fait le service (sexuel) minimum. L’aîné n'apporte aucun retour d'expérience, aucune connaissance du monde et aucune initiation. Heureusement! La seule qu'il pourrait faire est celle de la drogue. A ce sujet, il y a un truc qui m'a manqué: la littérature, laquelle aurait pu être un médium entre eux. J'ai bien vu que le film est organisé en chapitres et remarqué la machine à écrire Burroughs, mais c'est tout. Ils n'ont rien à partager, si ce n'est les traveller's cheques. Le protagoniste en est réduit à faire le clown d'une manière pathétique pour attirer l'attention !

Donc, pour éviter le côté tourisme sexuel, le casting a bien joué : le jeune fait une tête de plus que l'aîné. Vous imaginez la même chose avec un petit ? Involontairement, ce film renforce l'amalgame entre homosexualité, addiction, pédérastie et prostitution. D'ailleurs, Burroughs n'a-t-il pas affirmé "qu'il n'a jamais été gay un seul jour de sa vie" ?

Durant ce voyage, un autre moment très fort : le protagoniste a la tourista. Oui, vous avez bien lu. Je mens un peu, on finit par comprendre qu'il souffre du manque.

Puis ils rebaisent, on varie l'acte, comme chez Marc Dorcel.

Enfin, l'idée bien Beat Generation : goûter à l'herbe hallucinante locale, version initiatique à la Castenada. Mais le traitement est clownesque. Je crois que j'ai compris pourquoi. Notre Italien a fait un truc à la manière de son compatriote bédéiste Manara . Un délire gaguesque qui confronte un Occidental cherchant l'aventure à la jungle.

Notons quelques passages visionnaires en phase avec la dimension SF et psychédélique de William, et une belle, mais artificielle, utilisation du numérique. Face à la misère affective, le protagoniste espère un échange fusionnel avec l'être aimé grâce à la drogue télépathique. Il le vivra dans une étonnante chorégraphie virtuelle. Mais c'est une illusion car l'amant se volatilise. L'hallucination permettra aussi d'évoquer l'accident qui coûta la vie à la femme de Burroughs, le jeune homme se substituant à l'épouse.

Épilogue : à l'article de la mort, le personnage se souvient d'un geste de tendresse dont on lui avait fait la charité.

Sur ce Craig joue bien, mais, s'il me rappelle les mimiques sympas des copains homos, il ne me rappelle pas du tout, malgré le gun à la ceinture, la grimace psycho inquiétante de l'écrivain. Guadagnino fait bien le boulot, il s'est attaché à filmer les scènes de sexe, au risque du convenu ou du porno. C'est réussi.

Le problème est que l'histoire est vide. Sauf pour les aficionados, qui identifieront les références, ou pour ceux qui trouveront l'ambiance envoûtante. Certainement, à la lecture, grâce à la magie du style, elle passe. Car l'écriture l'emporte sur le récit. Je n'ai pas vu, dans les images, la puissance qui la traduise, parce que les images ont surtout la puissance de ce qu'elles racontent. L'idée qu'un maniérisme audiovisuel puisse restituer un style littéraire est difficile à manier.

Nous voilà victimes des retombées de la hype qui a entouré William dans les années 80. Je le sais, j'y étais. Ce qui est underground est excitant sur le coup mais quand, ultérieurement, on en fait un mausolée, c'est... muséal.

Le-Male-Voyant
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le 25 févr. 2025

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Le Mâle Voyant

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