Queimada
7.1
Queimada

Film de Gillo Pontecorvo (1969)

Les affres de la politique insulaire au XIXème

Les succès à l'écran de Marlon Brando exaspèrent Hollywood qui a du mal avec cette star capricieuse, trop indépendante et surpayée, car ce sont autant de victoires personnelles gagnées sur une profession qui l'accable au moindre faux pas. En 1969, à ce stade de sa carrière, Brando tourne moins et s'enflamme pour des productions peu commerciales ; ainsi, Queimada correspond à cette passion de l'acteur pour un projet visant la défense des minorités noires. C'est aussi l'époque où Brando fuit le monde et surtout Hollywood pour aller s'isoler sur une île du Pacifique et affirmer ses positions écologiques.
Queimada est une co-production franco-italienne de bonne tenue, au budget assez raisonnable et bénéficiant d'une bonne reconstitution historique, mais c'est aussi un drame historique intéressant pour ses manipulations politiques fomentées par l'agent provocateur incarné par Brando ; grâce à lui qui porte le film sur ses épaules, le projet prend une certaine dimension car il aborde un sujet qui n'aurait sans doute pas trop attiré le public, d'ailleurs le film fut un échec commercial. Pourtant, il se révèle un document passionnant sur la politique extérieure britannique.
Dès le début, ce projet buta sur un os : s'inspirant d'un fait historique au cours duquel les Espagnols réprimèrent en 1520 une révolte sur une petite île des Caraïbes, le réalisateur et ses scénaristes durent apporter des modifications devant les menaces de boycottage des autorités espagnoles, si bien que de colonie espagnole, cette île fictive passa de Quemada (titre espagnol) à Queimada (titre portugais) et devint une colonie portugaise non plus au XVIème siècle mais en 1845. L'intérêt du film réside dans la manoeuvre de William Walker incarné par Brando, agent anglais qui manipule les Portugais en fomentant une révolution pour permettre au gouvernement britannique de s'emparer du monopole de la canne à sucre, tout en poussant le gouverneur (incarné par Renato Salvatori) à réclamer l'indépendance de l'île.
Tour à tour cauteleux, cynique et calculateur, Brando est magnifique dans ce rôle, et le fait que le réalisateur ait choisi pour interpréter le révolutionnaire local, un authentique coupeur de canne à sucre qui n'avait jamais vu un film de sa vie, crée une stupéfiante opposition entre cet acteur d'occasion (Evaristo Marquez) et Marlon Brando, alors énorme star à l'époque, et au métier très sûr. La mise en scène est très efficace dans les scènes de foule, la révolte des indigènes, et le carnaval, on y discerne une certaine violence sanglante et un peu d'érotisme latent propre à la nonchalance d'une vie insulaire au XIXème siècle dans les Caraïbes. On peut aussi y voir une ressemblance avec la révolte de Toussaint Louverture à Saint-Domingue au tout début du XIXème siècle. Un film assez méconnu qui mérite une attention, bien soutenu par une bonne partition d'Ennio Morricone.

Créée

le 14 mai 2020

Critique lue 1K fois

28 j'aime

8 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 1K fois

28
8

D'autres avis sur Queimada

Queimada
Palplathune
10

Burn baby! Burn!

En 1968, le succès critique mondial de la Bataille d'Algers ouvre de nouvelles opportunités pour le réalisateur Italien Gillo Pontecorvo. Épaulé par le scénariste Franco Solinas, il monte une...

le 25 juil. 2011

21 j'aime

8

Queimada
Morrinson
8

"If a man gives you freedom, it is not freedom. Freedom is something you take for yourself."

La lucidité et la pertinence du regard de Gillo Pontecorvo sur les rapports de domination coloniale et néo-coloniale sont incroyables. Si la violence physique et explicite jalonne le film à travers...

le 7 janv. 2017

16 j'aime

4

Queimada
steka
9

Pratiques de la domination

Ce très grand film dévoile sans fioriture les logiques de la domination à l'œuvre. Utiliser le besoin de liberté des peuples pour éliminer les concurrents gênants. Puis une fois cet objectif atteint,...

le 27 nov. 2011

16 j'aime

1

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

123 j'aime

98

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

98 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 5 déc. 2016

96 j'aime

45