Burn baby! Burn!
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Je pensais que Queimada c’était un gars. Un révolutionnaire, un rebelle. Non. Queimada c’est une île. Ce n’est pas un individu, mais une île imaginaire. Voilà le film qui m’a fait comprendre que le cinéma pouvait changer la vie. Souvenir. Film culte et introuvable, vieux film que je n’ai pu visionner que grâce à Youtube en VO sous-titré. Je suis Queimada. Île, métaphore politique de la décolonisation. Île en marche forcée vers la modernité. Dit comme ça, on penserait à un pensum ardu et chiant. Mais pas du tout. C’est un conte philosophique doublé d’un film d’aventures. Film d’un autre temps, d’une époque, romantique et flamboyant.
Un ancien esclave, José Dolores, (Evaristo Márquez) qui devient haut gradé, chef militaire et révolutionnaire, aidé par un agent anglais pas très net, William Walker (Marlon Brando). Et la révolution pour changer le monde sera une farce grandiose, avec des milliers de figurants prêts pour la manipulation. Y croient-ils eux-mêmes ? C’est vrai qu’il est facile de croire au miracle quand on n’a rien. Derrière tout ça se cache la main invisible d’une grande puissance européenne (ici l’Angleterre) qui tire les ficelles, et les marrons du feu. Le mercenaire (Brando) sert de courroie de transmission pour faire le sale boulot. Cela aurait pu être misérabiliste ou larmoyant, d’un cynique, ou complètement désespéré. Pontecorvo, éclairé, évite les nombreux écueils et livre un tableau criard, beau sans détours, lucide sur la situation du monde, sous couvert d’action et de coup de théâtre picaresques. C’est là le tour de force. On pourrait sans peine déplacer le théâtre des opérations, et le mettre en Amérique latine, dans une république centrafricaine, en Asie du sud-est, dans ce qu’on appelait vulgairement à l’époque le tiers-monde.
Une fresque, une musique aussi expressive que les images sont fortes ; une histoire terrible. La révolution ne peut donc engendrer qu’un monstre ? Un nouveau monstre ? Telle est la question. Une histoire terrible de cruauté et de banalité quand on a pris la peine d’ouvrir un livre d’histoire contemporaine. Clairvoyant et sans pitié, avec un humour jaune, voici l’idéal de liberté sacrifié sur l’autel de la nécessité. Le rebelle sera un pantin entre les mains de l’agent anglais. Mais tout n’est pas perdu. De défaites cuisantes, en trahisons, de déceptions en perte des illusions, José apprendra le vrai sens du mot liberté. Ce n’est pas ce qu’on croit. Ce n’est pas avoir la richesse, ce n’est pas le ventre plein. Non. C’est plus subtil. Cela ne se donne pas. Cela ne se marchande pas. Pause.
Un président fantoche est élu. Renversé. Un autre prend sa place, après un coup d’État éclair. Tout change pour que rien ne change. Nous avons des vautours qui se mangent entre eux pendant que le guépard veille. Avant, les habitants de l’île étaient des bêtes de somme. Maintenant se sont des « salariés » payés une misère. Les choses changent. Vive la république ! Et quand le rebelle prend les armes parce qu’il estime que cela ne va pas assez vite, son ami Walker lui fait comprendre que : « La modernité…c’est compliqué ».
« Si tu chasses tous les blancs, qui va enseigner aux enfants à l’école ? Lui ? » dit-il en montrant un soldat qui monte la garde.
« Ou lui ? » Un autre soldat debout en faction. À la tête des deux gars on a compris. Deux idiots, qui se contenteront de faire ce qu’on leur dit de faire. Rien dans la tête, aucune « éducation ». Dehors, il y en a mille comme eux. On est mal parti. Et José doit se rendre à l’évidence. Il n’est pas prêt. Trop radical, trop pressé, il sera écarté.
Vietnam, Amérique centrale, et j’en passe…on voit en germe l’échec de beaucoup d’idéaux des courants révolutionnaires de la deuxième moitié du vingtième siècle, et le retour du principe de réalité. Brutal. Tous les coins chauds de la planète, revus et corrigés, circonscrits à une île, minuscule, qui pourtant les résume tous. Queimada. Qui a dit que l’apogée du capitalisme, c’était les années 80 ? Non. Il est plus vieux, plus complexe. Plus multiple, a mille visages. Nécessité fait loi. Et un million d’êtres humains exterminés ce ne sera que dommage, ou pas assez…tant pis.
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le 10 août 2017
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