Au delà de l'imaginaire déployé, de son monstre végétal, du fantastique souvent convoqué, il n'est pas anodin de se rendre compte que Quelques Minutes Après Minuit, tout au long du spectacle qu'il offre, grandit, comme son petit héros. Il évolue d'une certaine candeur, soulignée par des extraits, touchants, du King Kong originel, vers une sorte d'apprivoisement de la souffrance, et d'acceptation, sur différents plans. Son guide sur ce chemin difficile et tortueux, Connor en est finalement la projection, démesurée dans son allure, dans ses coups de colère, dans le fracas de ses apparitions et les craquements de son écorce sous laquelle la lave rougeoie et semble bouillonner.


Les irruptions du merveilleux dans la tristesse d'une réalité intime à hauteur d'enfant est ainsi tout autant le prétexte à dessiner un refuge permettant de fuir le quotidien qu'à donner vie à un conte merveilleux, dans tous ses archétypes, qu'ils soient liés à de superbes séquences d'animation tout en aquarelle, la création et le dessin, ou encore aux passages obligés de la narration, aux paraboles et aux énigmes. Sur ce thème, loin d'une quelconque filiation avec Steven Spielberg, il faudrait plutôt regarder vers Le Labyrinthe de Pan, tant le personnage du faune, dans les trois épreuves qu'il faisait passer à la jeune Ofelia, ressemble à celui du monstre végétal de Juan Antonio Bayona. Ni bon, ni mauvais, testant Connor sur le regard qu'il porte sur les choses et les sentiments qui l'animent, il devient par ailleurs l'expression des colères, des peurs, de l'impuissance et des souffrances de l'enfant, l'emportant dans un maelstrom rageur d'émotions contradictoires et destructrices.


C'est cet aspect de l'oeuvre qui émeut tout d'abord, tant elle dessine avec acuité les maux de l'enfance et sa frustration, quand on devine les choses alors qu'on nous les cachent et que les mensonges fleurissent afin de préserver l'innocence. Au point que Quelques Minutes Après Minuit sublime cet aspect dans un coup au coeur émotionnel, faisant affleurer la nature humaine complexe du conte, tout en confrontant l'enfance à l'inéluctable dégradation de la personne qu'elle aime le plus au monde, aux décisions prises pour lui par des adultes qui n'ont pas le beau rôle ou des retrouvailles presque fantasmées avec un papa démuni et désarmé devant les questions acerbes et les colères de son fils.


Juan Antonio Bayona confronte enfin son petit héros à ses sentiments contraires, entre désir de mort, volonté égoïste que le cauchemar prenne fin, et la culpabilité liée à l'abandon, comme il le faisait déjà avec le personnage de Belen Rueda, fragile et désarmante, dans son Orphelinat déjà porté sur la composante fantastique du récit et les atours du conte.


Jusqu'à un climax émotionnel bouleversant où la tristesse infinie serre la gorge, dans l'habitacle d'une voiture ou dans l'intimité d'une chambre, à l'instant où la vie s'enfuit. Avant de finalement poser son regard sur la décoration d'une chambre d'enfant. Sur un bureau sur lequel sont posées une maquette du nautilus et la figurine d'un monstre de cinéma. Sur un carnet de dessins familiers et une silhouette qui, déjà, avait soulagé pareille douleur. Comme si Juan Antonio Bayona passait une main sur notre épaule, nous faisant comprendre, dans un silence, que l'imaginaire et l'acte de création avaient le pouvoir de perpétuer la mémoire de l'être aimé et d'apaiser les blessures les plus profondes. Comme le cinéma, après tout.


Behind_the_Mask, qui plante un arbre pour qu'il lui racontre trois histoires.

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