MARIAGE [maʁjaʒ] n. m. — Institution pour malades mentaux.

Drôle d'expérience que de voir le film après une représentation de la pièce d'Edward Albee de 1962, dont il fut adapté quelques années plus tard. C'est un cas de visionnage un peu à part, l'intrigue étant étrangement familière : ce n'est pas un remake, pas une véritable découverte, mais plutôt un autre regard sur une situation de crise très singulière, un pas de côté appuyé par les artifices du cinéma et sans les arguments du théâtre. Dans les deux cas, la satire prend plusieurs chemins, entre la psychanalyse un peu poussive de deux couples appartenant à deux générations différentes et le portrait contemporain de l'Amérique aux relents acides.


Lorsque les grandes lignes de la toile narrative et le contenu de la diatribe sont connus à l'avance, même grossièrement et par le biais d'une autre représentation artistique, on se concentre sur autre chose, en léger décalage avec l'essentiel. Deux choses m'ont profondément marqué : la quantité d'alcool ingurgitée, qui rivalise aisément avec les hectolitres de bière absorbés dans Wake In Fright (un ptit canon pour la route ?), et la violence acharnée des échanges entre Elizabeth Taylor et Richard Burton, incessante, protéiforme, et dépassant sans doute le strict cadre des personnages fictionnels de Martha et George (cf. les nombreux épisodes tumultueux de leur vie commune dans la réalité). Ces deux aspects, alcool et violence principalement morale, dans leur caractère extrêmement répétitif et intense, sont au cœur de l'expérience très éprouvante que constituent les deux heures de cet affrontement. Ou plutôt ces affrontements, tant les schémas d'opposition bourgeonnent dans tous les recoins de l'histoire. Un conflit allant crescendo jusqu'à la guerre totale, ou tous les coups sont permis pour rabaisser l'autre et se sortir de l'état d'ennui et de torpeur mêlés qui semble les paralyser depuis longtemps.


C'est une façon très originale (et abominable) d'évoquer une relation de couple à l'écran : tous les échanges se font à travers le filtre de l'humiliation morale et de la torture psychologique, dont l'intensité croît avec le taux d'alcoolémie et le temps qui passe. Une peinture de crise profonde, qui semble durer depuis une éternité étant donnés les sous-entendus et autres règles qui semblent tout de même exister dans leur jeu de massacre. Dans son insistance, dans sa longueur, dans sa brutalité, le film rend la folie des personnages palpable, la maladie devient claire et tangible (et peut, aussi, lasser). Les deux névrosés nous éclaboussent de leur démence et étendent l'épreuve de leur couple au cadre du visionnage du film, tout aussi éprouvant.


Si le film est beaucoup plus explicite que l'œuvre originale quant à l'origine du mal qui ronge ses deux sociopathes, si le parallèle entre les deux couples est plus appuyé (une relation pétrie d'amour autant que de haine et basée sur des mensonges dissimulant des cicatrices), l'expérience n'en est pas moins irrespirable. Le mariage ressemble dans ces conditions à une institution pour malades mentaux, source des pires maux et théâtre de psychothérapies meurtrières. Le jeune couple invité, pris en otage, finira désintégré par le souffle de l'explosion.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Qui-a-peur-de-Virginia-Woolf-de-Mike-Nichols-1966

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le 12 juin 2017

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Morrinson

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