On était sans nouvelles de Hiner Saleem depuis son très beau western kurde My Sweet Pepperland en 2013, et le moins qu’on puisse dire, c’est que sa nouvelle production est passée assez inaperçue ; une indifférence regrettable, alors qu’il aurait eu toute sa place dans une des sélections parallèles du Festival de Cannes par exemple, son œuvre poursuivant cette petite touche modeste qui allie un véritable sens esthétique à une tonalité singulière.
C’est sur les terres du polar que le cinéaste pose ses valises, pour une intrigue très proche de l’univers d’Agatha Christie, comme en témoigne ce titre et la malice avec laquelle il est répété à l’envi par différents personnages.
Saleem s’empare d’emblée de l’artificialité de l’écriture pour en faire la force de son récit : ici, tous les personnages sont des types, et les foules les différentes facettes d’une société qui vit en vase clos dans une île au large de la Turquie qui a tout d’un décor de conte philosophique : une même famille aux ramifications multiples qui voit l’arrivée de l’inspecteur du continent, ténébreux typique du film noir, avec le mauvais œil de circonstance.
L’élucidation de l’enquête est évidemment un arc secondaire : le cinéaste s’intéresse davantage à sa galerie de portraits, assez proche de l’univers de la bande-dessinée, où tous les hommes hochent en même temps la tête, et les insulaires font bloc comme un seul individu. Le jeu, très théâtral dans l’écriture, consiste à jouer des échos et des répétitions (par le running gag, notamment, des test ADN et des diapos exonérant progressivement tous les potentiels suspects), l’insistance de l’enquêteur mettant forcément sur le devant de la scène les petits secrets qu’on a coutume de mettre sous le tapis, puisqu’on est des gens honorables.
C’est cette finesse dans la satire, jamais insistante, qui fait la saveur du film : Saleem ne prend jamais le parti de privilégier un aspect de son œuvre par rapport à l’autre. Le polar gentillet côtoie donc des questions sociales et idéologiques qui sont tout sauf anodines, en témoigne la manière dont évoque la question kurde au détour d’autres considérations : en intégrant, au sein d’un récit à priori léger, des points de friction à propos d’un pays on ne peut plus rigide sur ce type de question, Saleem opte pour une diplomatie d’une grande intelligence.
Il en va de même pour la dimension esthétique qui faisait déjà la force de My Sweet Pepperland : la très belle photo, souvent sombre et faisant la part belle à des paysages un peu torturés qui font penser au cinéma, turc justement, de Ceylan semble a priori dépareiller avec la tonalité générale, jouant des contre-plongées et de la mise en valeur un peu grotesque des personnages. Mais cela contribue justement à un tableau plus complet qu’il n’y parait, pour un cinéma qui ne se cantonne pas à une niche mais montre toute l’étendue de son talent au profit d’une comédie policière qui parvient aussi à devenir humaine.