Who Framed Roger Rabbit est déjà malin dans son titre au double sens: framed voulant à la fois dire piégé et se rapporte également à la mise en image au sein d'un cadre qui renvoie immédiatement aux deux aspects du film de Zemeckis.
Le film se veut hommage au film noir dont il reprend tous les codes tels que le privé paumé torturé par son passé, la femme fatale, les intrigues à tiroir, les sombres affaires entre hommes puissants faites en sous-main, des histoires de chantage, les personnages ambigus, l'éclairage typique du genre (la scène dans le bureau de R.K.Maroon hurle FILM NOIR si fort que ça en fait mal aux yeux ...),...
C'est assez rigolo de se rendre compte qu'un des meilleurs exemples de film noir moderne avec les films des frères Coen est l'histoire d'un privé aidant un lapin à se disculper d'une sombre affaire de meurtre.
Mais le film mélange cet univers sombre issu du film noir avec l'univers fantastique et coloré des toons partant du postulat que ceux-ci ne sont pas des dessins sur du papiers, mais des êtres réels employés par des studios dans leurs films.
Cette idée de génie ne permet pas seulement au film d'exhiber sa réussite technique impressionnante en se révélant être sans doute le meilleur film réunissant acteurs réels et personnages d'animation (autre tour de force à mettre à son actif, être parvenu à réunir les univers de Disney et les Looney Tunes dans un même film) depuis Mary Poppins, elle permet aussi de parler d'une certaine manière de l'industrie du divertissement à Hollywood en général, d'un point de vue historique en particulier, et surtout de la relation complexe que peuvent entretenir les artistes d'un coté, les producteurs et l'aspect financier de l'autre, et même le politique.
Ce n'est évidemment pas un hasard si le film de Zemeckis se déroule en 1947, date qui marque la fin d'un certain âge d'or hollywoodien, mais également le début de la chasse aux sorcières lancée par une commission parlementaire soupçonnant le cinéma d'activité anti-américaine et qui aboutira à une liste noire détruisant bien des carrières et au maccartysme quelques années plus tard, mais aussi au démantèlement du système de production hollywoodien par le ministère de la justice.
Divulgâchage ci-après, car pour pouvoir pousser un peu le raisonnement, il me faut dévoiler l'intrigue du film. Vous êtes prévenus!
Difficile de ne pas voir dans le film de Zemeckis un allégorie de ce qui se passe dans le milieu du cinéma de l'époque, le juge Doom cherchant à noyer les toons non conforme dans la trempette destinée à les effacer, et assassinant Marvin Acme qui incarnera ici l'aspect artisanal du vieil hollywood tout en faisant porter le chapeau à un lapin en cartoon, qu'on peut voir comme une représentation générale de ces amuseurs que sont les acteurs, puis en assassinant R.K.Maroon représentant lui aussi une certaine vision passéiste des studios afin de mettre la main sur Toonville pour y faire passer la représentation même de la modernité: une autoroute, grâce à laquelle il compte tirer des gros bénéfices une fois qu'il aura démembré le tramway, un autre symbole du passé.
Les créateurs du passés sont donc remplacés par de sinistres personnages pour qui l'aspect artistique (ici les toons) ne compte pas et ne cherchant que le profit.
Le film se conclut sur un happy-end rendant aux toons/artistes leur indépendance face aux politiques et aux financiers, à travers une vengeance symbolique jubilatoire, nous permettant de continuer à rêver d'un cinéma n'ayant pas perdu son âme.
Malheureusement dans la vie réelle, les juges Doom sont nombreux et particulièrement tenaces et même si McCarty a fini par céder sa place et que plus tard, le nouvel Hollywood est apparu, le combat pour sauver Toonville se refait à chaque époque , et est plus d'actualité que jamais.
Le film de Zemeckis est donc brillant dans son exécution comme dans sa technique. Son hommage au film noir , au film d'animation, comme au cinéma d'une certaine époque est sincère et touchant, et le sous-texte du film n'est pas en reste. Tout cela concourt à faire de Who Framed Roger Rabbit un classique absolu assez riche, unique en son genre, et toujours aussi chouette à regarder .
THAT'S ALL FOLKS!