Un nouveau Mungiu à Cannes, en voilà une bonne nouvelle. On sait à quoi s'attendre. Des films puissants, arides, et qui ont cette capacité rare de toucher de nombreux aspects de notre psyché.

Autant dire que je n'ai pas été déçu: R.M.N est un grand Cristian Mungiu.

Parlons déjà de l'exigence de sa direction: on y parle en roumain, en hongrois, en anglais, en sri-lankais, en allemand et même en français. Gérer un tel melting-pot d'acteur a tout d'un sacerdoce, et je ne peux m'empêcher de me demander dans quelles conditions de sous-titrage le film a été projeté à Cannes.

Parce que finalement, la diversité des langues est autant un pretexte de confronter cette société éminemment multiculturelle avec elle-même qu'il est un enjeu. Les personnages articulent si peu que leurs langues elle-même se fond, que plus grand monde ne se comprends dans cette Tour de Babel fraîchement effondrée. Chacun se retrouve à parler pour soi sans vraiment préter attention aux arguments des autres.

Commençons par le fond de l'affaire, qui prend sa source dans un fait divers de janvier 2020, à Ditrau, en terres magyarophones de Transylvanie. Deux ouvriers Sri-Lankais, engagé par la boulangerie de la commune incapable de trouver des salariés locaux, ont du faire face aux pétitions et à la haine pure et simple d'une partie des concitoyens, terrifiés à l'idée de voir des mains étrangères pétrir leur pain quotidien. Ces craintes qui cachaient mal leur racisme, traduisait aussi une incompréhension patente: comment faire en sorte que la main d'oeuvre locale ne parte pas en masse travailler en Europe de l'ouest?

Le fait divers a fait énormément de bruit en Roumanie, et il était facile d'imaginer un cinéaste en faire son terrain de jeu. On s'attendait peut-être à un biopic se mettant dans la situation de ces Sri-Lankais, qui parcourent la moitié du globe pour arriver dans une boulangerie industrielle du pays Sicule. Mais Mungiu a vu plus large, il a vu dans ce fait divers plus qu'une affirmation de la mondialisation en Roumanie, peut-être y a t-il vu une croisée des chemin dans cette campagne multiculturelle, construite autour de la diversité, mais en pleine perte de repères, qui voit dans ce nouveau conflit le conflit de trop, et qui a réussi à séculariser même ses propres tensions comme la composante d'une identité culturelle. Et voyant plus que cela, il a pu faire cette radiographie, observer la profondeur, l'origine humaine de ces peurs.

Entre Mathias, le père violent, qui tente de compenser son complexe d'infériorité par une violence exacerbée mais qui ne peut totalement embrasser son animalité, et sa crainte d'être inférieur en tout, Csilla, qui voit dans son combat pour ces ouvriers Sri-lankais sa dernière chance de rester en Roumanie, entre la haine quasi pathologique de la communauté magyare du village contre les tziganes, entre les fonctionnaires vidés de toute volonté et de tout moyen, il est difficile de sortir de ce film avec beaucoup d'espoir. Mais on en ressort pensif, conscient que quelque chose se joue là pour l'Europe dans cette campagne de Transylvanie, tout autant roumaine, magyare et saxonne, tout autant rejetant l'aridité sauvage de sa nature que l'embrassant frénétiquement, qui s'enferme dans ses vieux archaisme tout en regardant Wong Kar-wai.

Le film est austère, exigeant, mais il y a de la grandeur dans ce nouveau Mungiu.

Simon_Smile
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le 24 oct. 2022

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