Lettre ouverte
Papy, J'aurais tant aimé voir ce film en ta compagnie. Voir De Niro, exposant son art, évoluer dans le monde de la boxe, ce monde d'hommes misogynes au possible où la virilité est de mise. Observer...
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le 24 mai 2013
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En 1974, Robert De Niro s’empare du livre Raging Bull, l’autobiographie de Jack LaMotta (co-écrit avec Joseph Carter et Peter Savage). Dans ce livre, il trouve une histoire forte, un homme direct qu’il voudrait interpréter au cinéma.
Robert De Niro propose l'idée à son ami réalisateur Martin Scorsese. Ce dernier n'est cependant pas très emballé par le projet, n'étant pas très fan de boxe et pas très attiré par le sujet. De Niro fait découvrir Raging Bull aux producteurs Robert Chartoff et Irwin Winkler qui acceptent le projet seulement si Martin Scorsese le réalise.
Martin Scorsese va accepter le projet alors qu'il est au plus mal, en pleine dépendance à la drogue et après les échecs de ses précédents films. La vie de Scorsese a pris un détour dangereux : l’artiste se laisse gagner par l’exaltation et les tentations de la vie hollywoodienne, il consomme médicaments et drogues, ne dort plus assez, travaille comme un forcené, assiste à la fin de son couple, devient accablé par ses doutes existentiels et connaît une grave dépression nerveuse. En 1978, après la sortie du documentaire The Last Waltz, Martin Scorsese tombe littéralement d’épuisement. Il est hospitalisé d’urgence et n’est pas loin de passer de vie à trépas. C’est sur son lit d’hôpital que le cinéaste prend la décision définitive de réaliser le film, convaincu par Robert De Niro qui l'a beaucoup aidé à cette époque pour une sortie en 1980.
Ce qui me fascinait, chez Jack LaMotta, c’était son côté autodestructeur, ses émotions les plus primaires. Qu’est-ce qu’il y a de plus primaire que de gagner sa vie en cognant un autre type sur la tête jusqu’à ce que l’un des deux tombe ou arrête ?
L’idée scénaristique de Raging Bull a été éprouvée de nombreuses fois avec succès : mettre en scène l’ascension et la chute d’un héros, ambitieux et passionné, de ceux qui, à vouloir côtoyer le soleil, s’y brûlent les ailes. Ce scénario rappelle celui du film de gangsters. On retrouve de nombreuses similitudes, à commencer par le profil du héros, un personnage brutal, machiste et colérique, souvent déclassé socialement et qui parvient très vite à atteindre des sommets. La contrepartie de la réussite met en jeu des questionnements moraux qui trouvent leur résolution dans le dénouement de l’histoire, généralement tragique. Raging Bull, c’est la chronique de la vie de Jake LaMotta, prolo sanguin et sensuel du Bronx, qui devient l’un des plus grands boxeurs de son temps avant qu’une jalousie passionnelle ne lui fasse tout perdre. Si ce type de récit fonctionne toujours aussi bien auprès du public, c’est parce qu’il explore les grandeurs et les bassesses de l’humanité. Jack LaMotta, nous apparaît antipathique pendant la majeure partie du film, mais progressivement, Scorsese parvient à en faire un personnage plus complexe et ambigu.
Robert De Niro incarne Jack LaMotta, il n’est déjà plus un débutant, ces rôles ont un point commun, celui de présenter des personnages écorchés vifs, loin des héros aux valeurs positives adulés par le Hollywood de l’âge d’or. Jack LaMotta fait lui aussi partie de ces gueules cassées et grâce à ce rôle il remporte l’Oscar du meilleur acteur en 1981.
Le héros est un passionné qui se bat comme il fait l’amour ; la Cavalleria Rusticana qui vient ponctuer les scènes de combat sur le ring ne dit pas autre chose : l’animalité brutale est transcendée par la musique.
L'une des autres caractéristiques du film tient dans la manière dont sont filmées les scènes de combats. Les combats, contrairement aux autres films de boxe, ne sont pas un simple montage de plusieurs séquences, filmées par de nombreuses caméras placées hors du ring. Ici, le réalisateur a décidé de n'utiliser qu'une seule caméra, placée à l'intérieur même du ring, à la façon d'un participant direct au combat. Une telle technique est cependant fastidieuse car elle demandait un jeu précis de la part des acteurs, devant se placer au bon endroit et exécuter rigoureusement les mouvements prévus. C'est cette difficulté qui explique la durée importante de tournage consacrée aux seules scènes de combats. Pour préparer les séquences de combat, Robert De Niro s’est entraîné avec des boxeurs professionnels. Il est même et surtout conseillé par le Jack LaMotta, qui fut prié de quitter le tournage une fois son travail accompli (et on peut le comprendre quand on voit le résultat final).
Même avec cette technique inédite de tournage pendant les combats, utilisant une caméra, la monteuse Thelma Schoonmaker s’illustra et gagnera l’Oscar du meilleur montage en 1981.
Dans le casting secondaire, c’est le débutant Joe Pesci qui est choisi par incarner Joey LaMotta le frère de Jack LaMotta (grâce à son rôle dans un film à petit budget : The Death Collector). Joe Pesci alors peu connu possède une alchimie incroyable avec Robert De Niro. Pour le rôle de Vickie LaMotta, de nombreuses actrices sont sur les rangs, mais c’est étonnement Joe Pesci qui suggère le nom de Cathy Moriarty, qui était alors elle aussi inconnue.
Boucle parfaite, le film commence et s’achève en 1964 à New York, dans la loge du champion de boxe, devenu un animateur bouffi et grotesque pour boites de strip-tease ou hôtels de luxe. Jake LaMotta nous est présenté au crépuscule de sa carrière. Martin Scorsese fait ici le portrait d’un homme essentiellement simple, si proche de l’animalité et de la pureté, qu’il vit dans la familiarité immédiate de la vérité. Pour cet enfant des quartiers pauvres du Bronx, habitué dès le départ à lutter pour la vie, la violence devient pratiquement la seule façon de s’exprimer, presqu’un mode de vie. Jack LaMotta ne se bat pas seulement sur le ring. Sa vie est un combat, contre lui-même, contre les autres, contre la peur. Ses rencontres sur le ring deviennent des règlements de compte sexuels où s’affirme une virilité brutale. Le cinéaste s’est intéressé à cet être aux émotions primaires et aux pulsions violentes aussi pour ce qu’il a fait : traverser l’enfer des combats et arriver à s’en sortir, à survivre. Survivre, c’est un thème constant dans l’œuvre de Scorsese et peut-être la racine de cette tendance.
Raging Bull marque une seconde naissance pour Martin Scorsese en même temps qu’une étape essentielle dans sa carrière. Le réalisateur et son personnage suivent un chemin parallèle qui aboutit à un réel exercice de libération. L’artiste a atteint une maturité qui ne l’a plus quitté depuis ; sûr de ses effets et des ses expérimentations, conscient de la puissance évocatrice de sa mise en scène, Martin Scorsese est entré de plain-pied dans le panthéon des cinéastes qui comptent. Et Raging Bull n’est pas prêt de descendre du piédestal où les professionnels du cinéma et les cinéphiles l’ont fort justement installé.
Plusieurs années après la sortie du film, Martin Scorsese déclare que Robert De Niro lui a certainement sauvé la vie en lui proposant ce projet.
De son côté, Jack LaMotta a vu le film et s'est rendu compte de la personne horrible qu'il avait été. Il a demandé à son ex-femme Vickie si il avait vraiment été comme ça. Elle lui a répondu qu’il avait été pire.
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Créée
le 1 mars 2023
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