Sylvester Stallone restera dans l'Histoire du cinéma grâce à deux contributions majeures au cinéma d'action : Rocky et Rambo. Les deux opus originels de ces sagas sont en dissonance avec la carrière future de Stallone et donc son image dominante. Les deux suites de Rambo dans les années 1980 seront elles-mêmes, déjà, des décharges de testostérones un peu aveugles et sans grande épaisseur. Le premier opus, baptisé First Blood aux USA mais adapté d'un roman (de David Morrell) nommé Rambo, présente la chasse à l'homme d'un innocent et ne contient qu'une seule mort (un abruti sadique), dont le héros éponyme n'est pas directement responsable – dans le 3e opus, il y aura 127 victimes. Ce rôle a été proposé à de nombreux acteurs américains des plus fameux (De Niro, Al Pacino, Dustin Hoffman, Jeff Bridges..), qui l'ont tous repoussé.


Rambo cherche à montrer les ravages de la guerre et se déroule hors des champs de bataille. Le personnage éponyme est un vétéran du Viet-Nam, vagabondant dans sa patrie en y trouvant qu'indifférence et incompréhension. Au-delà de l'ingratitude des concitoyens américains, le film pointe surtout le cynisme des décideurs états-uniens et la violences des autorités à tous les échelons. Le métrage s'ouvre sur la découverte de la mort du dernier camarade de combat de Rambo, dont le cancer est un effet de « l'agent orange », défoliant utilisé par l'armée américaine. John Rambo est seul et bientôt livré à une police locale dévoyée. Le seul délit de Rambo est l'errance. L'homme doit porter un fardeau et être blâmé pour cela, alors qu'il n'est coupable de rien. Bafoué à la base, détruit jusqu'au-bout, il devrait encore se justifier et subir les turpitudes de ses supérieurs ou d'autres bandits assermentés. Dans un premier temps, il oppose une résistance passive à l'agressivité abusive s'abattant sur lui. C'est un homme impassible parce qu'il est solide mais abîmé : et en tant qu'abîmé, il se doit d'être d'autant plus fort. Il est imperméable parce que vidé de son énergie et par réaction immunitaire, qui le contraint à endurer l'iniquité.


Il ne s'attend à rien, a passé depuis longtemps le cap du dégoût ou de la haine, ou du moins les a-t-il endormis pour arriver à tenir. Ce profil (son histoire moins) fait donc écho à celui du héros de Rocky, où Stallone interprétait de façon tout aussi brillante une brute sensible, endurcie par un univers impitoyable et médiocre : dans Rocky l'outsider devenait un champion, ici le rêve américain est dénié et le champion n'est qu'une bête humaine devenue obsolète et même dangereuse, tardant à mourir alors qu'on l'a purgée de ses ressources. Rambo n'est donc pas un film de guerre mais sur la guerre et ses lésés, c'est-à-dire le matériel humain, employé pour confronter le réel mais aussi instrumentalisé pour être fondu en machine de guerre. La bureaucratie militariste se décharge de toute responsabilité et laisse ses sbires se défouler. Lorsque la traque de Rambo s'engage, le déploiement est excessif. Les forces de police sont surtout conduites par leur colère gratuite et leur mesquinerie, voir par la promesse de récompenses. Rambo revit alors, chez lui aux Etats-Unis, une situation où il est l'ennemi public. Là où il devrait avoir le repos et être respecté pour son sacrifice, il revit l'enfer. Le stress post-traumatique vient se joindre à ce vécu pour en faire une réminiscence littérale.


Les limites plus formelles du film sont là : la démonstration est implacable, mais le prétexte de la chasse peut sembler léger (les policiers s'enflamment vite) et les enchaînements qui en découlent gardent un côté surfait. Ces quelques détails, ou les tunnels d'irrésolution liés à la traque ou son organisation (notamment lors de son lancement), n'entament pas la force et la cohérence du propos. Le final est ouvertement politique et explicite le message, avec l'implosion émotionnelle de Rambo, qui s'est déjà effondré sur ce terrain. Film d'action original, aéré plus que désuet, Rambo est aussi un survival décalé, révélateur d'injustices occultées : c'est le cas en général et ça l'était à son époque, lorsque les soldats rentraient dans une Amérique sous influence hippie, vannée par l'échec de l'expédition et tous ces efforts de guerre infructueux, la mettant face à son immoralité, ses faiblesses et son usure. Les vétérans deviennent alors des charges pour les rois du monde-libre et accessoirement les bouc-émissaires des moralistes s'opposant à ce bourbier sans tenir compte du facteur humain lié à leur propre maison.


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le 30 août 2015

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