Fais pas chier ou je te ferai une guerre comme t'en as jamais vu
"Rambo" fait partie de ces films dont la porté est grandement minimisée en raison de préjugés tenaces. Dans l'esprit de beaucoup, lorsque l'on fait référence à John Rambo, vient l'image du super-soldat patriote aux mitraillettes rutilantes qui tire bourrinement sur tout ce qui bouge. Si on s'en réfère aux second et troisième opus, c'est assez vrai. Pourtant, enfermer le personnage dans cette caricature grossière est une erreur que ne peuvent commettre ceux qui ont vu le premier opus.
Car si les volumes deux et trois utilisent effectivement le personnage de John Rambo dans des films patriotiques pro-américains, le premier volume nous offre une vision diamétralement opposée. En un sens, si le film rend également hommage à la capacité d'intervention des Bérets Verts durant la Guerre du Viêt Nam, il s'agit avant toute chose d'un véritable drame psychologique dénonçant les horreurs de la guerre et les traumatismes qu'elle peut engendrer.
Il est ici question d'un vétéran de la Guerre du Viêt Nam intérieurement détruit et sans aucun repère social. Machine de guerre à l'efficacité implacable façonnée par l'armée américaine, John Rambo est un pur produit de la guerre froide non assumé et qu'on aimerait oublier. Ainsi, "Rambo" est une critique virulente contre cette Amérique bien-pensante qui a laissé tomber ses soldats partis combattre pour elle au lendemain de cette catastrophe humaine. Fortement encouragés à leur départ par une majorité d'américains, ces soldats se sont ainsi retrouvés très largement conspués par l'opinion publique à leur retour au bercail après le désastre que fut ce lourd conflit. Pourtant, comme le dit à juste titre John Rambo lors de son émouvante tirade finale, ces jeunes soldats n'ont pas choisi cette destinée. De ce point de vue, on pourrait quasiment considérer que cette machine à tuer créer par les militaristes de Washington se retourne contre ces officiers civils de l'Amérique profonde, qui sont les premiers à soutenir l'utilisation de la force et des interventions militaires à l'étranger, mais qui pourtant ici le méprisent. John Rambo, ancien héros de la guerre et machine à tuer, aujourd'hui vagabond atteint mentalement et désoeuvré, dont les talents sont inutiles en société, on a du mal à l'assumer dans le coin. Le shérif interprêté par Brian Dennehy incarne parfaitement ce paradoxe. Le personnage, détestable, fait preuve d'un acharnement désespéré dans dans ce combat perdu d'avance, combat qui est autant celui qu'il mène contre John Rambo que contre lui-même; l'Amérique aimerait bien oublier aujourd'hui cet échec cuisant et peu importe les moyens.
Le film est adapté du roman de David Morrell, "First Blood". Lequel, ancien professeur dont certains de ses élèves avaient été soldats au Viêt Nam, a écrit son livre pour parler du problème de réinsertion des vétérans qui avaient quitté l'Amérique de Kennedy, sûrs de leur bon droit, pour retrouver une Amérique hippie et moralisatrice qui avait de sévères critiques à leur encontre.
Dans une certaine mesure, le film respecte fidèlement l'intrigue du roman mais a changé des aspects importants de l'histoire pour plaire au plus grand nombre. Si John Rambo ne tue qu'une personne, par légitime défense, se contentant généralement de blesser ses poursuivants dans le film, il massacre un par un tout les policiers qui le traquent et tue à nouveau une fois revenue dans la ville dans le roman. De ce point de vue, le film, en ne faisant pas de John Rambo un assassin sanguinaire, me semble bien moins caricatural que le roman. Là encore, Sylvester Stallone a su faire preuve d'autant de retenue que pour l'interprétation impeccable dans le film. Néanmoins, la plus grande différence provient de la fin: John Rambo est arrêté à la fin du film tandis qu'il meurt auprès du Colonel Trautman dans le roman.
Sylvester Stallone incarne à la perfection, de part son charisme et son jeu d'acteur, cette machine de guerre détruite de l'intérieur. Les séquelles laissées par son passé sont brillament exprimées de par la froideur et la complexité du personnage. Le scénario, servi par une mise en scène honorable de Ted Kotcheff, est moins simple qu'il n'y paraît et met en avant l'injustice de son propos. L'histoire d'un homme qui n'a plus rien dans sa vie, sinon un couteau. Il n'aspire à rien d'autre qu'à la tranquillité et à un peu d'humanité, mais on le rejette et l'agresse sans raison. Plus on s'acharne contre lui, plus il marque sa différence, jusqu'à en faire une vrai guerre qu'il n'a, encore une fois, jamais voulu; guerre qui lui a déjà à la fois tout donné et tout pris. Toute les forces de police et l'armée seront à sa poursuite, mais le génie de John Rambo les surpassera tous. Prisonniés d'une guerre absurde, tous ne trouveront la paix que grâce à l'intervention du Colonel Trautman.
Malgré quelques petites faiblesses de mise en scène, ce film demeure une référence incontournable du cinema autant pour le divertissement certain qu'il procure que par la critique sociale réelle qu'il représente. C'est pourquoi je conseille à tous de le voir et le revoir sans modération.