"Ran" signifie en chaos en japonais... et le moins que l'on puisse dire, c'est que cette intrigue de succession violente dans le Japon féodal, porte très bien son nom ! On s'intéresse ici à Hidetora, puissant seigneur qui se voit vieillir, et décide de confier son pouvoir à son fils aîné, et ses deux frères. Une manœuvre destinée à garantir la paix, mais qui mettra en réalité son domaine à feu et à sang...
Akira Kurosawa se base sur William Shakespeare (en l'occurrence, "King Lear") pour étoffer son histoire. La force de ses deux conteurs est qu'ils sont parvenus chacun à nous livrer des récits universels et intemporels. Combinés, même à quelques siècle d'écarts, cela aboutit ici à une trame riche et puissante.
"Ran" aborde ainsi les thèmes du pouvoir, de la famille, et de l'héritage patrimoniale... mais surtout de l'héritage de la haine. Vieil homme perdant de sa superbe, Hidetora affrontera les conséquences d'un passé très violent, ayant construit son royaume sur l'agressivité et la cruauté. Il est campé par un excellent Tatsuya Nakadai, hagard et au bord de la folie. Tandis que ses fils feront des choix souvent peu heureux, et que l'occasionnelle loyauté des personnages secondaires sera rarement récompensée. "Ran" est donc un film sombre et complexe sur ses thématiques.
Mais Kurosawa n'est pas seulement scénariste, et nous rappelle sa grande maîtrise de la réalisation. On retrouve ses compositions symétriques, regorgeant de plans en apparence simples mais parfaitement découpés. De nombreuses scènes focalisées sur un groupe de personnages, avec un montage qui alterne entre plusieurs plans statiques, soigneusement choisis pour évoquer les oppositions de personnages.
Le réalisateur s'amuse de plus avec les couleurs. Il fait contraster les plaines ou ruines grisâtres, et les étendues verdoyantes, avec des vêtements très vifs (rouge, bleu, jaune, blanc). Ceci, couplé à un nombre impressionnant de figurants, et des costumes magnifiques, fait ressortir les mouvements des armées... et les ambitions de leurs dirigeants. En résulte quelques scènes superbes, dont cette hallucinante séquence d'assaut au milieu du film. Elle parvient à évoquer à la fois la violence très graphique des combats grâce une imagerie cauchemardesque, et leur absurdité en rendant les belligérants presque abstrait, les réduisant à des figures.
"Ran" prouve donc que même en fin de carrière Akira Kurosawa restait un grand !