Si d’Akira Kurosawa l’avis général retient essentiellement sa longue épopée Les Sept samouraïs cela peut s’expliquer selon moi par des raisons historiques, le terreau des années 1950 étant incontestablement favorable à la découverte du cinéma japonais dans le petit monde de la cinéphilie.
Cependant, il m’apparaît que cette place de grand œuvre ne revient guère à celui-ci mais bien davantage au film qui naîtra trente ans plus tard, à savoir Ran, car si celui-ci s’inscrit dans la digne continuité de Kagemusha, il constitue certainement l’accomplissement de toute la filmographie du maître japonais au travers de cette sublimation du film de samouraïs, véritable odyssée du cinéma japonais.
Ainsi, pour la seconde fois Kurosawa s’est attelé à l’adaptation du non moins vénéré Shakespeare et leur première rencontre ayant donné le génial Château de l’araignée, on ne pouvait s’attendre qu’à l’excellence comme résultante de cette nouvelle rencontre. En somme, Ran incarne la poussée jusqu’au-boutiste de ce cinéma tant dans son propos que dans sa mise en scène dont la démesure est une métaphore de celle du monde et de la profonde folie des hommes ; le spectateur émerveillé assiste alors à une parfaite conjonction du fond et de la forme.
De fait, tiraillés entre ambitions personnelles et raisons familiales, les membres du clan Ichimonji ne vont pas tarder à se déchirer suite à la décision de leur chef Hidetora de prendre sa retraite au profit de ses trois fils. S’engage alors une véritable lutte de pouvoir, profondément insensée et qui ne laissera personne indemne. En magnifique roi Lear qu’il est, Hidetora Ichimonji sombrera dans la folie mais, tel que le souligne si bien son bouffon, dans un monde de fous c’est être sain d’esprit. Commence désormais une longue errance au sein de terres désolées où les hommes semblent bien peu de choses comparés à l’immensité du ciel plus que jamais magnifié.
C’est en effet une merveille esthétique que ce film dont la sophistication du travail sur les couleurs ne laisse certainement pas de marbre, bien qu’on ne soit pas dans l’exubérance des rêves au LSD de Kagemusha. Chaque plan semble pensé comme un tableau dépeignant un récit tragique qui ne paraît pas très éloigné de celui de l’Apocalypse. Ran est donc une gigantesque épopée et cela selon une double dimension : bien sûr, la folie, mais encore davantage, la vengeance. Car Hidetora ne récolte ici que ce qu’il a semé, autrement dit la haine et le sang.
On remarque alors la confrontation directe de deux mondes : celui de la rancœur incarné par la glaciale Kaede (digne héritière de la lady Macbeth du Château de l’araignée) qui voudra tout détruire, jusqu’à la pieuse dame Sue qui au contraire a su pardonner en suivant rigoureusement les principes de sa foi bouddhiste. Mais au fond y a-t-il une place pour les dieux dans ce monde ? Probablement pas selon la fin.
Seul dans cet univers infernal, l’aveugle est abandonné par l’image pieuse du Bouddha. Coincé dans cette immensité, il sombre dans ce fondu au noir, meilleur symbole des ténèbres et de leur obscurité : la fin d’un monde est alors achevée.
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