"Ran", soit "le chaos" dans la langue de Bernard Menez. Et effectivement c'est le chaos à tous les étages dans cette transposition orientale du "Roi Lear", qui semble en reprendre à peu près tous les éléments narratifs (pas lu mais j'ai vérifié vite fait le résumé, donc arrêtez-moi si je me trompe).
Chaos dans la tête de ce seigneur, père avant tout, dévasté par la trahison de ses deux aînés et sa culpabilité vis-à-vis du cadet qu'il a banni. Chaos dans l'esprit de ces trois fils qui perdent pied à l'épreuve du pouvoir. Chaos sur ces terres minées par les rivalités inter et intra-familiales. Et enfin, chaos dans le coeur des hommes, pourri par la jalousie, la vanité, la soif de domination et le désir de vengeance, attisé par l'inépuisable spirale de violence qu'ils déchaînent eux-mêmes depuis qu'ils sont sur cette planète.
La folie et la destruction sont donc au coeur de "Ran", autant dans les motivations de personnages qui scient petit à petit la branche sur laquelle ils sont perchés, que dans ces scènes de batailles aussi magnifiquement mises en scène (et en musique pour la première) que foncièrement atroces. L'attaque du troisième château constitue l'un des plus grands moments de l'histoire du cinéma, un déchaînement sourd de fureur aveugle, un brasier d'horreur et de démence duquel Hidetora (Tatsuya Nakadai et sa gueule inoubliable) s'éloigne comme un fantôme.
A côté de ça, Kurosawa glisse également une réflexion typiquement japonaise sur le fossé entre générations dans la société nippone et notamment sur l'ingratitude des jeunes envers leurs aînés. Alors âgé de 75 ans, il lançait ainsi un appel poignant au resserrement des liens familiaux.