Pauvre Randonnée pour un Tueur ! Sorti la même année que Piège de Cristal et pile entre L'Arme Fatale 1 et 2, on ne peut pas dire qu'il jouisse aujourd'hui de la même notoriété... la faute, sans doute, à un titre original bien trop basique et passepartout (Shoot to Kill) et à l'absence de tête d'affiche associée dans l'imaginaire collectif à ce type de cinéma, à une époque où les Stallone, Willis et autres Schwarzenegger régnaient sans partage et parvenaient à attirer le chaland rien qu'avec leur nom. Le film de Roger Spottiswoode mérite pourtant bien mieux que cet oubli, et malgré ses défauts, n'a pas à rougir face à ses glorieux contemporains.


Randonnée pour un Tueur, comme son titre français l'annonce sans fards, raconte le périple d'un mystérieux assassin et braqueur de bijouterie, particulièrement vicelard, qui pour échapper à la police suite à un coup audacieux à San Francisco, se joint à un groupe de randonneurs parti pêcher dans le magnifique massif séparant l'état du Washington et la Colombie-britannique. Warren Stantin (Sydney Poitier), agent du FBI en charge de l'affaire, n'a alors d'autre choix que de s'associer au bourru John Knox (Tom Berenger, rien à voir avec le prédicateur écossais), montagnard local et fiancé de la guide des randonneurs, Sarah (Kirstie Alley), pour espérer les rattraper avant que le tueur ne se débarrasse de ces compagnons de voyage une fois franchie la frontière.


Commence alors une chasse à l'homme pour le moins originale, dont le cadre constitue bien sûr l'attrait principal, mais pas unique. Non seulement c'est un plaisir de voir le buddy cop movie s'exporter de son univers urbain habituel vers une région sauvage et boisée, mais le film de Spottiswoode joue intelligemment sur le défi que cela constitue pour les protagonistes, en premier lieu desquels l'agent Stantin, archétype du flic tenace et perspicace, mais totalement hors de son élément dans un environnement aux antipodes de celui où il a forgé ses vingt-deux ans de carrière. "Vous êtes peut-être une autorité là d'où vous venez, monsieur, mais là vous êtes sur MON territoire" lui assène Knox, décidément peu commode. Comme souvent dans le genre, les deux hommes vont donc devoir apprendre à se respecter s'ils veulent arriver à leurs fins.


Ensuite, le scénario a une autre bonne idée en cachant l'identité du tueur. Ainsi, Sarah ignore qu'un meurtrier se trouve dans son groupe de braves randonneurs, mais le spectateur, lui, ignore duquel il s'agit ! Le whodunnit est d'ailleurs d'autant moins aisé et d'autant plus trépidant que Spottiswoode les filme tour à tour de manière plus ou moins suggestive, et qu'il a eu la bonne idée de peupler son casting d'habitués des rôles antipathiques, comme Andrew Robinson (le tueur en série de L'Inspecteur Harry et retors Garak de Star Trek : Deep Space Nine), Clancy Brown (le Kourgane de Highlander) ou encore Richard Masur, qui s'était déjà prêté à cet exercice dans The Thing de John Carpenter.


Et puisqu'on parle de distribution, autant chanter les louanges des interprètes principaux, et notamment du grand Sydney Poitier qui, à soixante ans (et alors qu'il en paraît vingt de moins !), s'amuse comme un petit fou dans ce rôle de poisson hors de l'eau, mais sans perdre la froide intensité qui avait fait toute la réussite de chefs d'œuvre tels que Dans la Chaleur de la Nuit et lui avait valu le premier oscar attribué à un acteur principal noir américain. Randonnée pour un Tueur joue d'ailleurs également sur l'incongruité d'un policier de couleur dans une région aussi reculée, mais avec humour et sans insister à coup de maillet comme le feraient 99% des films actuels, ce qui est rafraîchissant. Révélé par le Platoon d'Oliver Stone avant de rapidement se perdre dans les direct-to-DVD, Tom Berenger prête quant à lui avec efficacité ses traits rugueux et ses yeux de loup à son rôle d'homme des montagnes, et la belle Kirstie Alley fait le job, même si on aurait aimé que son personnage ait plus de choses à faire.


D'ailleurs, d'une façon générale, c'est un peu mon regret en ce qui concerne Randonnée pour un Tueur : après une première moitié virtuellement parfaite, le film manque certaines occasions de développer ses personnages et ses situations, pour donner l'impression de se précipiter vers un finish efficace, mais assez banal et sans grande surprise, loin des promesses de tantôt. C'est curieux, car le seul autre film de Spottiswoode que je connaisse, le "James Bond" Demain ne meurt jamais, souffre du même défaut... mais malgré tout, Randonnée pour un Tueur n'en parvient pas moins à s'affranchir de son statut de série B grâce à la beauté et à l'originalité de son cadre ainsi qu'au talent de ses interprètes, et rien que pour cela, je lui souhaite de connaître une nouvelle jeunesse et de sortir de l'anonymat !

Szalinowski
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le 21 août 2021

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