ma critique de Rashomon, ou pourquoi ce film est un masterpiece du cinéma

On ne présente plus Akira Kurosawa. Fils d'un samouraï, il est un des plus grands réalisateurs de toute l'histoire du cinéma, rentré dans le panthéon du patrimoine cinématographique japonais, du patrimoine cinématographique mondial. Rashomon marque une pierre angulaire dans sa filmographie.


Autour du film

A l'après-guerre, Producteurs, cinéastes, critiques étaient unanimes : il fallait montrer les films japonais, encore inédit à l'étranger, pour présenter la culture nippone au monde. Le film en question deviendrait alors un émissaire culturel. Malgré une tentative avortée pour le festival de Cannes 1951 (finalement un court métrage y fut envoyé), c'est finalement au festival de Venise, la même année, qu'on trouva un accord. Giulana Stramigioli, directrice des bureaux japonais d'Unitalia, s'était fait projetée un certain nombre de films nippons. Son choix se porta sur une production de la Daiei dont « l'étrangeté » l'attirait. Il s'agissait de Rashomon. Le film en question avait déjà eu son petit succès au japon (le capital investi était déjà entièrement amorti). Pourtant, le directeur de la Daiei protesta fermement sur ce choix : il n'avait aucune confiance en un film qui n'avait pas été produit pour l'exportation, et redoutait une humiliation. La suite on la connaît. Oscar du meilleur film étranger, Lion d'or à Venise, à la surprise générale, Rashomon devint le 1er film asiatique à recevoir une récompense dans un festival occidental. Il devint ainsi l'ambassadeur du cinéma asiatique en occident (on était loin de s'imaginer que le 1er film japonais présenté aurait déjà la récompense suprême, à l'époque). Ces multiples récompenses permirent d'ouvrir tout un pan de ces merveilles cinématographiques venues d'asie. Ironie du sort, Kurosawa lui-même ne savait même pas que son film était en compétition !

Critique, analyse du film

Le Nô, constitue l'origine de l'art théâtral japonais, très prisé par les classes élitistes de l'ancienne société japonaise. Puis vint le Kabuki, un dérivé du Nô, conçu pour plaire au public. Le Kabuki n'étant pas forcement bien adapté au cinéma (sinon, cela ressemblerait plus à un théâtre filmé), c'est ainsi que naquit le jidai-geki, ou film historique japonais, dont Rashomon fait partie. Cet héritage théâtral se ressent dans un film tel que Rashomon, notamment au niveau du jeu d'acteur, peu commun à celui développé en occident, en particulier celui de Mifune, acteur fétiche de Kurosawa. Son jeu outrancier et énergique, son visage incroyablement expressif est caractéristique des acteurs japonais de l'époque. On ne peut évoquer Rashomon sans sa fameuse et célébrissime narration. Cette narration originale, totalement novatrice au cinéma pour l'époque (c'était la première fois qu'un film utilisait ce procédé), constitue ce qui donne au film sa spécificité. Celle-ci influence encore aujourd'hui de nombreux réalisateurs (de Zang Yimou à Tarantino en passant par McTiernan .) En quoi consiste-t-elle ? Il s'agit de donner 3 à 4 points de vues totalement différents sur un même événement. Celui-ci est donc raconté plusieurs fois de façon distinctes selon l'interlocuteur, ses motivations, sa personnalité. Cette méthode permet d'insuffler un suspense quasi permanemment tout au long du métrage. Kurosawa instaure ainsi des réflexions profondes, quasi philosophiques sur la relativité de la « vérité », ou de la perception de la « vérité », de la difficulté du jugement étant donné sa subjectivité.

… Un procédé efficace mais extrêmement complexe et difficile à manier : là intervient tout le génie de la mise en scène, rigoureuse, sans faille, de Kurosawa. Il parvient à ce que le spectateur ne perdre jamais le fil de l'intrigue tout en racontant une histoire riche en détail et en rebondissement. Le film brille donc par sa mise en scène extrêmement moderne pour un film des années 50, déjà composé de travellings, gros plans et cadrages audacieux … Kurosawa dresse ici un portrait peu flatteur de l'homme, menteur, prisonnier de ses sentiments.

Si le premier « combat » du film semble montrer un tant soit peu de dignité, tel que l'on pouvait s'y attendre du bushido, le second n'est plus qu'une répugnante mêlée animale. Car Kurosawa, contrairement aux idées reçues, a toujours détesté la violence. Point d'esprit chevaleresque, point d'honneur : la violence n'est que violence. Rashomon nous peint une vision apocalyptique du monde, qui se ressent aussi bien dans les décors (en ruine) que dans la morale des personnages. De ce fait il s'inscrit parfaitement dans son époque : le Japon ayant connu une sorte « fin du monde » avec Hiroshima (Cet événement est d'ailleurs très présent dans les oeuvres japonaises, aussi bien chez Kurosawa, Miyazaki, que dans Ken le Survivant!.). Tout s'effondre s'avilit. La femme est perverse, la noblesse est lâche, les esprits des morts (qui permettent d'induire une touche de fantastique) mentent, on démolit la porte sacrée du temple, on la brûle, on abandonne des enfants. Mais dans les derniers instants du film réapparaît le courage, la bonté de l'homme, l'espoir retrouvé. Apres l'apocalypse, l'humanité reste encore possible. Elle parvient à survivre, se relever, et tel un phoenix, renaître de ses cendres ! Ce qui fait de Rashomon un film sur l'espoir. A ce titre, le final, bouleversant, nous offre une expérience cinématographique unique, jamais égalée, et nous renvoie sur une réflexion du devenir de l'humanité toute entière ! D'une profondeur inouïe, Rashomon fait partie des plus grandes œuvres que nous ait offert le medium cinématographique ! Chef d'œuvre ? Oui, Chef d'œuvre.

Musashi974
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le 17 mars 2012

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Musashi974

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