Le bonze, la pute et le truand.
Parce qu’au bout d’un moment on ne peut plus décemment dire qu’on aime et qu’on connaît le cinéma japonais sans avoir vu un film de Kurosawa, je me suis dit qu’il était temps de s’y mettre, parce que sinon hara kirira le dernier, et seppukumme ça que je vais me faire des amis.
Pour une introduction à l’œuvre de Kurosawa—n’en déplaise peut être aux puristes, Rashômon m’est apparu être un choix de bonne facture ; le film possédant nombre d’attraits et qualités, en commençant par le fait qu’il m’ait donné envie de poursuivre ma voie dans sa filmographie.
Lugubre et cynique, Rashômon ne constitue ni plus ni moins qu’une succession de démonstrations de faiblesse humaine. Cette faiblesse qui pousse à mentir par intérêt, par égoïsme, par orgueil, et qui amène l’autre à se méfier et à défier son prochain.
D’ailleurs, le procédé désormais classique de la multiplicité de points de vue, eux mêmes exprimés face à un tribunal silencieux —par delà la caméra, interpelle le spectateur et le conduit à bâtir son propre jugement sur les faits rapportés, après les avoir questionnés.
Mais plus que cet aspect narratif, ce sont plutôt les qualités artistiques du film qui m’ont personnellement séduit. La composition magnifique de certains plans qui alternent entre beauté enchanteresse et inquiétante, soulignée par le masque versatile des protagonistes tour à tour magnifiques de laideur et repoussants d’hilarité malveillante.
Et que dire de Mifune, dont le personnage de Tajomaru évoque un démon espiègle à la fois déchainé et ahuri devant tant de perversion de l’âme humaine ? Qu’il est tout simplement parfait, charmant et repoussant à la fois.
Kurosawa quant à lui filme la nature sous plusieurs de ses aspects, ce qui participe à noyer le récit, les personnages et le spectateur dans un monde ambiguë et changeant. Le soleil de plomb succède à la pluie, avant de se cacher derrière les nuages. Les ombres qu’il projette font revêtir à une forêt dense et complexe divers aspects selon les témoignages. Sous sa lumière glissent les heures qui passent ; mais on ne sait plus très bien lesquelles et combien.
Ici, si le soleil est une allégorie de la vérité, elle semble vraiment se jouer de tous.
La réalisation fait aussi preuve de beaucoup de maîtrise technique ; ainsi l’utilisation très judicieuse et admirablement accomplie du travelling apporte énormément de matière à l’histoire de par le dynamisme et la subjectivité qui résultent du procédé. D’autant que sa mise en œuvre n’a certainement pas dû être facilitée par les lieux du tournage (forêt, rives).
Rashômon est donc un film qui impressionne autant la rétine que l'esprit. Me reviennent ainsi en tête la vision de la pluie battante, des ses visages étranges et parfois difformes, de ces lieux ne semblant plus appartenir au réel, et la scène du chaman venue apporter une touche surréaliste des plus mémorables.
En guise de soulagement, le récit se montre dans sa conclusion bien plus humaniste que pessimiste. Comme si, après s’être interrogé sur la valeur et la foi à accorder en l’Homme, les éléments qui l’entourent —principaux témoins de ses agissements, avaient décidé de lui laisser un nouvel espoir, un nouveau commencement, une renaissance.