Sur les ruines de l'ancien temple de Rashomon, deux hommes racontent à un troisième qu'ils ont été témoins lors du procès d'un meurtre pas banal. Chaque personne y racontait une version totalement différente de l'affaire à laquelle on venait d'assister... (Y compris le mort. )
Le premier est embêté parce que cela lui fait perdre la fois en l'être humain, le second est embêté parce qu'il ne comprend plus rien. Leur auditeur hausse les épaules "hé, ça fera un très bon canevas sur lequel brosser des histoires de séries télévisé pour les scénaristes en manquent d'inspiration."
Ce film fait partie de mon "rattrapage culturel" version "un réalisateur = un film"
En tant que sujet d'étude :
Rashomon est le film j'ai pris afin d'étudier le cinéma d'Akira Kurosawa, un réalisateur dont je n'avais vu seulement qu'un film, c'est à dire Rêves, l'un de ses derniers films et selon pas mal de gens "le moins représentatif."
Il faut savoir que Rashomon est LE film qui a fait découvrir le cinéma de Kurosawa en occident, si ce n'est LE film japonais tout cours. Alors que Kurosawa prenait un risque en faisant un film en costume d'époque durant la période d'occupation américaine du Japon, le côté "japon traditionnel" (le samouraï, le ronin, l'épouse dont on ne doit pas voir le visage) a sans doute dû faire parti de l'exotisme qui a fait son succès à l'étranger. Avant ce film, un seul film japonais avait été diffusé aux USA et c'était un flop, après ce film, le cinéma japonais commencera à s'exporter et Hollywood piquera des influences chez Kurosawa. (Au point que plusieurs de ses films connaitront des remake, dont Rashomon devenu L'Outrage, 14 ans plus tard.)
Mais surtout Rashomon reste célèbre dans l'histoire du cinéma, voire l'histoire du scénario, comme LE film racontant une histoire depuis plusieurs points de vue avec des contradictions. Toutefois, c'est intéressant, car contrairement à ce qu'on en a retenu, ça n'est pas un film qui cherche à démêler "le vrai du faux" et à montrer qu'on peut interprèter différemment un même événement, mais plutôt un film sur la nature humaine.
Le film nous dit clairement que tous les personnages sont des menteurs (y compris celui dont on pourrait penser qu'il détient la vérité) mais tous mentent pour une question de position sociale, et affirment être le responsable de la mort du samouraï afin de ne pas perdre leur honneur, car après cet incident, leur vie (réelle ou sociale) est finie :
Tajomaru préfère affirmer qu'il a combattu le mari dans un duel. Il le dit lui-même : il va de toute façon mourir et arrange la vérité de sorte à passer pour un type badass.
La femme préfère affirmer qu'elle a possiblement poignardé le mari. Elle est d'ailleurs tellement évasive dans son récit ("je me suis évanoui et il était mort") qu'on peut difficilement la croire. De toute façon sa vie sociale est foutue, après ce qu'il va lui arriver elle ne trouvera jamais d'autre mari. Elle préfère donc arranger la vérité de sorte à passer pour une femme amoureuse et pleine de compassion.
Le samouraï préfère affirmer qu'il s'est lui même donner la mort : le rituel du Sepuku au japon étant vu comme une mort digne, et étant mort lui même, il préfère arranger la vérité de sorte à passer pour un homme qui affronte la morte en face. On peut aussi supposer que la miko qui interprète ses paroles est une grosse menteuse qui arrange un beau récit pour se faire mousser.
Le bucheron ment afin d'inventer un récit où tous les personnages étaient lamentables et on serait presque en droit de le croire tant cela expliquerait pourquoi tout le monde à honte de raconter la vérité. Mais au fond, son récit lui permet de se dédouaner du fait qu'il a volé une dague sur le lieu du crime ... toutefois, il ne le fait pas pour lui même ou pour une quelconque gloire (sinon il aurait raconté son témoignage final au tribunal) mais dans le but de nourrir ses enfants. Ce qui, avec l'acte de compassion qu'il a pour le nourrisson à la fin du film, redonne la foi au moine.
A noter que le film parle quand même de viol et de ce que devenait une femme qui en était victime autrefois (l'ère précise n'est jamais) et s'en sert de pivot au film : c'est les conséquence de cet acte qui détermine le changement de témoignage des personnage. Ce qui reste quand même méga couillu.
Mon avis personnel :
Évidemment, avec une telle renommée, il ne fallait pas que ce film me déçoive. Et à vrai dire, j'ai eu, au départ, peur de l'être, étant donné que ça met un peu de temps à décoller, notamment tout le dialogue préliminaire entre le bucheron et le bonze qui disent à l'homme de passage qu'ils ont participé à un procès qui les a bouleversé mais ne rentrent jamais dans le vif du sujet. (Au point qu'à un moment le badaud lui même dise "viens-en au fait.")
D'ailleurs il faut un petite demi-heure avant que le premier témoignage du meurtre n'arrive, le temps de tout mettre en place (ce qu'on vus les autres témoins, qui est Tajomaru et comment on l'a retrouvé) mais quand celui-ci arrive, on est pas dessus, notamment grâce à Toshirō Mifune, qui, malgré un jeu cabotin surranné, crève l'écran. Ceci dit les trois comédiens principaux (Mifune, Masayuki Mori et Machiko Kyō ) sont assez bons, notamment quand il s'agit de donner une interprétation complètement différente de leurs personnages.
Car l'un des plaisirs que j'ai eu devant ce film, c'est évidemment de voir la façon dont les personnages se comportent différemment selon les témoignages et à quel point au fond, tout cela est une variation autour des figures traditionnelles japonaises. La fin du film, avec son message sur la bonté humaine, est chouette aussi et fait oublier qu'on trouvait son prologue assez ennuyant. Et puis, rien que pour le plaisir que j'ai eu à l'analyser après, il va me rester en mémoire.
Bref, je comprend pourquoi c'est culte et j'aime beaucoup.