Je dois à Ray Harryhausen mon amour du cinéma fantastique et l'éveil de mon imagination. Le crabe géant de L'Île mystérieuse ( Cy Enfield, 1961) m'avait enfant stupéfait, non seulement par ses dimensions gigantesques, mais plus encore, par l'impression galvanisante d'être immergé dans un monde imaginaire, peuplé de monstres fabuleux, que je découvrais fasciné avec des yeux ronds comme des soucoupes. Aujourd'hui encore, ses créatures continuent de me fasciner et de m'émerveiller. Elles sont incroyablement vivantes et semblent s'animer comme par magie. Ray Harryhausen fait figure de sorcier en réussissant à leur insuffler la vie, et la magie opère, parce que ses figurines prennent soudain vie, s'animent miraculeusement sous nos yeux. Mais ses monstres ne sont pas aussi effrayants qu'ils en ont l'air. Ils ont du caractère et de la personnalité, en un mot, ils ont une âme. Pour reprendre une jolie formule d'Henri Selick, auteur de l' Étrange Noël de Mr Jack, "ses monstres ont du cœur", et pour cette qualité, je les trouve infiniment touchants.


Mais je suis encore plus impressionné depuis que j'ai compris comment Ray Harryhausen a élaboré et conçu ses effets spéciaux, et que j'ai découvert le secret de leur réalisation. Que de travail derrière ces mouvements en apparence si simples ! Filmer en Stop Motion, image par image, exige un travail titanesque, où patience, minutie et concentration sont constamment sollicitées. Comment imaginer que quelques secondes d'un plan animé en Stop Motion puisse exiger plusieurs semaines de travail, que certaines scènes demandent plusieurs mois de travail ? Sans doute le charme de la Stop Motion doit-il beaucoup à son caractère artisanal. Je suis vraiment admiratif du travail de Ray Harryhausen, que je considère comme un artiste dans son acception la plus noble. Il faisait tout lui-même en artisan chevronné, dessinait ses créatures, les sculptait et les cuisait. Composées d'une ossature métallique digne d'un jeu meccano, elles étaient en elles-mêmes de véritables œuvres d'art et se distinguaient notamment par leur expressivité et leur souci du détail. Pour ses premiers essais d'animations, il les filmait avec une caméra 16 mm dans le garage de ses parents. Ces derniers l'ayant toujours aidé et soutenu dans cette voie. Ils se sont même investis dans les projets du fiston en apportant leur savoir-faire.


Ray Harryhausen avait certainement hérité de sa mère peintre et couturière, et de son père machiniste, toutes les qualités pour être à la fois bricoleur et artiste dans l'âme. Très présent sur les plateaux de tournage, il participait aussi à l'écriture des films en créant les storyboards et collaborait, pour une bonne part, au scénario, à la mise en scène et au montage des films. Sans doute aimait-il à se considérer moins comme animateur d'effets spéciaux, que comme un véritable auteur et scénariste. Le fait que l'on se souvienne davantage de lui dans les films où il a déployé son talent, que des réalisateurs et acteurs (hormis sans doute la sculpturale Raquel Welch dans Un million d'années avant J.C ... ) montre toute l'étendue de son emprise et la marque indélébile de son génie en matière d'animation.


Ray Harryhausen, le Titan des effets spéciaux, est un merveilleux documentaire de Gilles Penso et Alexandre Poncet, deux cinéphiles français passionnés de cinéma fantastique, connus respectivement pour leur collaboration à la revue l'L'Écran Fantastique et Mad Movies. L'œuvre du plus célèbre créateur d'effets spéciaux est amoureusement décortiquée, analysée sous toutes les coutures, et le résultat de ce projet ambitieux et passionnant, nous offre ce qui se fait de mieux, jusqu'à maintenant, sur le travail et la carrière de Ray Harryhausen.


Le titre est plutôt bien trouvé, car si Ray Harryhausen fut bien un géant dans son domaine, celui de l'animation, il fut aussi un amoureux de la mythologie grecque. Jason et les Argonautes ou le Choc des Titans sont là pour en témoigner. À l'image des Dieux Olympiens s'amusant à manipuler le destin des humains, il a composé un exubérant bestiaire de monstres et s'est s'immiscé dans leur intimité pour les faire vivre et évoluer dans un monde imaginaire, peuplé de mythes et de légendes.


Ce documentaire est à mon sens une véritable caverne d'Ali Baba, tant la richesse du contenu et la diversité du matériau utilisé servent à mieux cerner la personnalité du plus célèbre créateur d'effets spéciaux. Interviews du Maître, brassage impressionnant d'archives, de rushs, d'images privées de Ray en famille, ainsi que des tournages de films. Sans oublier les cinéastes, acteurs, spécialistes en maquillage et effets spéciaux qui témoignent de leur reconnaissance envers celui qui les a stimulés, marqués et guidés. Je n'oublie pas les nombreux extraits de films, anciens et modernes, dont les auteurs du documentaire ont réussi à obtenir, ô miracle, l'exploitation et la diffusion. Ils illustrent à merveille comment Ray Harryhausen a inspiré toute une génération de cinéastes, parmi lesquels Steven Spielberg, Tim Burton, James Cameron, Peter Jackson, Guillermo Del Toro et bien d'autres, qui avouent lui avoir rendu hommage à travers leurs films, sous forme de clins d'œil ou par des emprunts variés. L'ordre chronologique est respecté à travers une filmographie qui s'étale sur près de quatre décennies. Sans verser dans l'hagiographie, ce documentaire, dont la genèse est presque un roman, a pris le temps de mûrir. Depuis que Gilles Penso et Alexandre Poncet ont réalisé les premières interviews de Ray Harryhausen en 2004, il s'est considérablement étoffé, grâce notamment aux apports de la fondation Ray & Diana Harryhausen, qui leur a ouvert quelques portes bien utiles, pour finalement devenir cet incontournable et précieux objet cinéphilique.


Le documentaire est sorti en Blu-Ray au Royaume-Uni, mais en VO uniquement. Pour une version sous-titrée en français il faudra se contenter du DVD, mais quel DVD ! Car ce double DVD, sorti dans un coffret collector édité par Rimini, est une pure merveille, grâce aux nombreux bonus mis à disposition. On se régalera de l'avalanche d'interviews proposées. Elles n'ont pas été intégrées au montage final pour des raisons de redondance et de cohérence. En outre, cette version dispose d'un commentaire audio en VF toujours instructif de Gilles Penso et Alexandre Poncet. S'il n'évite pas les éternels remerciements d'usage, c'est un peu normal, puisque les grands pontes des Studios leur ont généreusement offert, sans contreparties financières, les extraits de (presque) tous les films désirés. Avec son lot d'anecdotes servis dans un affriolant luxe de détails, il éclaire un peu mieux la genèse d'un documentaire à la réalisation pour le moins chaotique.
Kermite.


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Ray Harryhausen entre cyclopes et Gorgones


Un gant entouré de miniatures

Qhermite
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le 18 févr. 2022

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Qhermite

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