Razorback
5.9
Razorback

Film de Russell Mulcahy (1984)

"Razorbak" est un film Australien (ça se voit à mort mais j'y reviendrai), pas du tout d'horreur comme l'indiquerait SensCritique. Pour avoir littéralement peur avec ce film, faut vraiment être un Parisien planqué dans son Neuilly. L'histoire officielle : un sanglier massif aux tendances criminelles tue le petit fils d'un vieil homme et la femme d'un journaliste. Les deux hommes vont chercher à venger leurs victimes respectives. Dit comme ça, "Razorback" est un film de série B comme il en existe déjà un certain nombre, même possiblement un nanar. Pourtant, c'est un film plus intelligent qu'il en a l'air, et ses plusieurs interprétations sont tout autant de preuves que le film avait tout sauf des choses stupides à raconter.
Sa première lecture, évidemment, est celle de l'histoire en elle-même du film. Le passif de clip du réalisateur se ressent dans l'esthétique, sans pour autant être écrit comme pour ce médium. Ce qui m'a frappé, c'est qu'il lâche la purée dès la séquence d'introduction. La photo est déjà crépusculaire, pourtant on n'est qu'au début, comme si c'était foutu d'avance.L'atmosphère fait clairement référence aux westerns spaghettis (référence du coup en décalage avec le principe du film). Et puis, le drame, signé El Sanglier ; le vieillard, sujet de la séquence, sort d'une maison incendiée tel un survivant immaculé, et hurle au ciel, tandis que le titre vient l'encastrer dans des lettres rocheuses. C'est franchement audacieux, le film dit qui il est dès le départ, certes, mais surtout la scène est réalisée comme une séquence qui aurait pu arriver un peu vers la fin du film. On sait immédiatement, après l'avoir vu, qu'on a déjà touché le pic émotionnel, car nous ayant surpris et atteint un drame horrible dans les 3 premières minutes


(à savoir, le meurtre d'un enfant).


Donc, forcément, les autres séquence sont en deçà. Mais attention, elles sont globalement magnifiques ! L'esthétique, sec, sauvage, sans compromis, assume ses influences tout en façonnant sa propre vision toute Australienne. Les personnages ne sont pas extrêmement profonds, certes, mais leurs fonctions sont assumés et guident le film vers une direction maîtrisée. Le cri du grand-père quand il a le seum est particulièrement cool, ainsi que pour cette réplique :
A chaque fois que je tue un sanglier, je suis ravi.
Le scénario du film, sans casser trois pattes à un canard, est riche et très bien construit. L'intrigue enchaîne les surprises, menée avec rage et éclectisme, captivante et impliquée. Tout cela mené à la baguette attentive d'une mise en scène inventive. Le film est très bon, tout simplement ! En fait, son défaut principal, c'est que les soucis de production sont perceptibles : plusieurs plans ont des soucis de raccord voyant (la fille a les yeux fermés et la bouche ouverte, au plan d'après c'est l'inverse, en plus d'un déplacement un peu coupé au départ ; exemple parmi d'autres). Mais, surtout, il MANQUE des plans. Les mouvements ne sont pas tous filmés en continu, l'espace du cadre peut changer de limites sans prévenir, et il manque clairement d'inserts (des très gros plans ; c'est nécessaire comme transitions d'un événement important à une réaction de personnage par exemple). Ce qui fait qu'on passe un peu d'un lieu à un autre en ayant l'impression que quelque chose nous a échappé, mais pas pour de bonnes raisons. Par ailleurs, pour le climax, c'est le best-off ; l'affrontement avec le sanglier a malheureusement été rendu confus par le montage. J'exige pas du Nino Barragli hein, mais l'impression que des scènes ont été amputées d'informations me rend triste. J'aime ce film, et si le montage aurait été plus soigné, on aurait eu un grand film, qui l'aurait fait dépasser de son statut budgétaire.
La deuxième lecture, c'est le portrait de l'Australie elle-même. Parce que, comme je l'ai dit sur la première ligne, les fibres Australiennes bouillonnent de partout : les paysages majestueux, à la fois inquiétants et apaisants ; les cow-boys modernes aux valeurs ancestrales ; la solitude proéminente qui imprègne le pays ; la Nature dominant l'Homme et non l'inverse ; la violence régie comme une valeur sûre... Personne ne peut croire que le film vienne d'ailleurs. De ce fait, nous sommes obligés de nous demander pourquoi , contrairement à d'autres films Australiens très Américanisés (coucou Peter Weir), ce film cherche-t-il autant l'emphase de son sujet avec le pays ? "Razorback" est une immense critique de la société Australienne (il semble viser davantage les terres, mais sans doute les zones urbaines sont aussi visées). Ici, les Australiens sont dépeints comme des êtres sauvages, quoique pétris d'humanité dès qu'il s'agit de massacre, hermétiques à ce qui vient d'ailleurs. Même légèrement discriminatoire, puisque le grand-père bute des petits sangliers qui, eux, ne lui ont rien fait ! Le gros sanglier, lui, peut être interprété comme la concrétisation de ce que les Australiens, et plus globalement les Hommes, contiennent en eux. Terroriste, dictateur, les interprétations s'entrouvrent. Enfin, le contraste esthétique permanent, illustrant la lutte entre l'Homme et la Nature (SA Nature), est une manière de rappeler que, malgré l'isolement de l'Australie profonde, tout n'est pas si manichéen, et qu'en chaque bête enfiévrée, il y a souvent un enfant qui pleure.
La troisième lecture est de nature cinéphilique. On vous l'a surement déjà dit, tous les films parlent plus ou moins de cinéma, et "Razorback" en parle de manière très... industrielle. Un razorback est un nom de cochon marron, issu de l'Amérique du Nord. Une espèce envahissante. Issue d'un pays étranger. Le titre est donc pas anodin ! De plus, pourquoi faire de lui le méchant du film ? L'Australie n'a pas un bestiaire de créatures singulières et dangereuses qu'il faut aller choisir un immigré ? Au détriment d'un tigre de Tasmanie, d'un dingo, ou un émeu, soit-dit en passant l'oiseau le plus dangereux du monde qui ferait fuir les sangliers ? Je ne dis pas qu'un porc marron ne cause pas de graves problèmes, notamment pour sa surpopulation ; mais reconnaissez qu'ils avaient un plus large choix possible, compte tenu du pays de provenance ainsi que de ses intentions. Enfin, le Razorbak est clairement comparé ici au requin des "Dents de la Mer". Le film qui a été déclaré comme le premier véritable blockbuster influençeur, au point de lancer le Nouvel Hollywood (le premier blockbuster en sens classique est "Le Parrain", c'est bon de le rappeler). Les pièces du puzzle s'assemblent : le film parle également de la domination Américaine sur le cinéma, donc des blockbusters sur les films à petits budgets. Le sanglier du film, l'équivalent du requin de Spielberg, devient l'Amérique défonçant tout sur son passage, le cinéma à la papa (le grand-père) comme le cinéma plus "écolo" (la journaliste).
"Razorback" a plus d'un tour dans son sac, et est beaucoup plus incisif qu'il n'en a l'air. Je vous recommande donc de le voir, après un dîner au Buffalo ça fait un complément de choix pour une soirée pas du tout vegan !

Billy98
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le 9 août 2019

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Billy98

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