Razzia sur la chnouf par Alligator
sept 2012:
Cette immersion dans le milieu interlope des trafiquants de "la" drogue, comme l'écrit un journal qui situe formidablement bien l'époque, est une belle occasion de retrouver la verve d'Auguste Le Breton. Encore a-t-on le privilège de rencontrer l'écrivain lui même en voyoucrate expert en jeu de dés monnayable.
Le film ne s'arrête pas à cette exceptionnelle participation, il donne aussi l'occasion de découvrir pour la 2e fois la tronche fermée d'un catcheur promis à un très grande carrière cinématographique, aussi grande que sa carrure l'imposait : Lino Ventura fait ses débuts dans l'ombre du "vieux" dans un rôle de méchant cette fois. Lui qui disait ne pas vouloir jouer les salops s'en va violer la femme d'un inconvenant!
Pour continuer dans le casting, il faut noter le rôle très effacé de Magali Noël. Les femmes font tapisserie dans ce film. La seule qui a osé bravé la dépendance des hommes, Lila Kedrova, est tombée dans celle de la came et ses turpitudes. Elle a un rôle difficile de loque humaine, dépouillée de toute dignité, allant jusqu'à gangbanguer dans un bouge antillais sous les volutes de marie-jeanne, pour oublier sa souffrance quotidienne, dans une des scènes les plus extrêmes du film.
Car "Razzia sur la chnouf" est un film très violent, malgré le fait que Henri Decoin essaie d'édulcorer à l'image le propos, par l'ellipse ou le contre-champ. Il s'agit, comme nous le dit d'entrée un petit carton pré-générique, d'édifier les masses sur les ravages de la drogue, nouvelle peste moderne.
Les codes d'honneur traditionnels d'avant-guerre chez les loulous chers à Auguste Le Breton (encore qu'on puisse s'interroger sur la validité de cette mythologie?) est battue en brèche par cette nouvelle donne que représente la coke. Les gros bras ont le coup de flingue facile, la confiance est plus difficilement acquise et on entre dans l'organisation pour n'en jamais sortir. Cette fracture dans les rapports entre voyous est bien dessinée, à tel point qu'on hésite à parler de voyous, terme par trop gentillet pour définir l'absolutisme généré par les sommes dégagées.
Si le film n'avait à s'enorgueillir que de son propos et de sa distribution, ce serait d'ores et déjà pas mal, mais en plus, il met en valeur tout ces éléments avec une photographie et des décors superbes. Par moments le travail du chef-opérateur Pierre Montazel atteint au sublime. Les décors des studios marseillais de la Gaumont sentent encore parfois le carton pâte et la peinture d'avant-guerre, ce réalisme à la française, à la Trauner, mais il s'en dégage une atmosphère suffocante, très "noir", un avant-goût de l'enfer, où les êtres paraissent déjà morts, zombies cachés par les autres productions de l'époque.
Ce Paris parallèle, ces trognes si antipathiques, où même les flics ont des gueules de taulards, plongent le spectateur dans une réalité glauque, celle des bas-fonds, ça sent la pisse et le sang, réalité interdite en temps normal. Le film met les mains dans le moteur et les doigts en ressortent plein de merde. Où es-tu, pauvre humanité? Peut-être dans le regard de Jean Gabin, mais tout de même, on le sent las, désabusé, fragile. Le film n'épargne rien ni personne au fond. La course à la vilenie n'est pas encore gagnée par la police, comme il sera possible plus tard dans d'autres productions. On sent cependant que la frontière entre pègre et flicaille ne tient plus qu'à un tout petit fil, ce n'est plus aussi net qu'auparavant.
Un vrai bon film noir à la française, avec la gouaille saillante de Le Breton, ça ne se refuse pas.