Henri Decoin signe en 1955 un excellent film noir basé sur le non moins excellent roman d'Auguste Lebreton (paru en 1954 sous le numéro 193 de la SN chez Gallimard). D'ailleurs il faut bien avouer que les Albert Simonin, José Giovanni et Auguste Lebreton, anciens voyous ayant passé par la case "prison" ont insufflé à travers leurs très crédibles romans dans la Série Noire un certain renouveau dans le cinéma policier noir français dont ici on a un bel exemple.
Pour ce qui concerne "Razzia sur la Chnouf", il y a presque un aspect documentaire, dans le roman bien repris dans le scénario, sur ce phénomène de la drogue qui est en pleine évolution. C'est assez évident quand on voit le film aujourd'hui où les choses n'ont cessé d'encore évoluer et de se dégrader. Dans les années 50, il y avait encore le phénomène sociétal branché lié à l'opium (avec les fumeries et le cérémonial cher à certains intellectuels) mais qui allait disparaître pour une démocratisation (si on peut dire) avec des drogues plus dures comme l'héroïne qui allait s'étendre et se propager dans toutes les couches de la société.
C'est pourquoi le film conserve une certaine actualité aujourd'hui même si les films plus récents qui parlent de la drogue ou du trafic de drogue sont présentés avec un jeu encore plus dur.
Le fond de l'affaire reste le même : monde impitoyable des trafiquants ou des dealers, qu'on ne peut quitter que d'une seule manière, conséquences très négatives sur les consommateurs en terme d'addiction et de manque, des profits énormes (pour certains), …
L'ambition restituée dans le film laisse apparaître un monde où il n'y a aucun cadeau, aucune confiance entre "collègues" ou si confiance, très fragile et facilement remise en cause,
Comme toujours, un film noir c'est avant tout un film de trognes :
En commençant par Jean Gabin qui est dans sa période intermédiaire de juste après-guerre. Son personnage est un dur, formé à l'américaine, chargé de remettre au pas et de serrer les boulons de cette organisation française où il y a du coulage et du laisser-aller.
Quand je dis "période intermédiaire", c'est qu'il y a encore dans le Gabin de cette époque un peu du Gabin romanesque d'avant … D'où la romance qui, me semble-t-il, ne s'imposait pas forcément. Surtout avec une jeunette. Mais bon, un petit dérivatif romantique dans un film noir et un monde de brutes, pourquoi pas ?
Autre trogne, c'est évidemment Lino Ventura en homme de main. Le duo Ventura/Gabin avait déjà fonctionné dans "touchez pas au grisbi".
Albert Remy joue le rôle d'un homme de main qui ne connait qu'une façon de résoudre les problèmes : le flingue.
Dalio, dans le rôle du patron de la filière française, est, lui, un visage composite à la fois un grand bourgeois, un immonde salaud qui ne se mouille jamais et aussi, quelqu'un qu'on sent prêt à être lâche en cas de coup dur.
Et on retrouve aussi un certain nombre de seconds rôles de l'époque pleins de talent et de personnalité comme Franqueur (en flic), Bozzufi en malfrat (petit rôle), Jean Sylvère (le cheminot). Il y a même Auguste Lebreton en cameo (l'homme au chapeau dans la partie de dés sur qui la caméra insiste)
Je termine par cette grande actrice, Lila Kedrova, qui joue toujours des rôles remarqués et remarquables. Ici, elle est un dealer toxicomane au bout du rouleau qui fait froid dans le dos.
Film remarquablement réalisé, très dense avec des scènes inoubliables comme la rafle dans le restaurant suivie du passage à tabac chez les flics ou encore l'errance nocturne et noctambule de Lila Kedrova avec Jean Gabin.