Il est un plaisir qui ne peut être égalé. Celui d’un souvenir. D’une expérience passée. D’un rêve d’enfant, où tous les univers se croisent à portée de main. De mes Playmobils, je faisais des aventuriers de l’arche perdue ; d’un cintre, je me transformais en capitaine crochet et d’un dinosaure en plastique, je semais la terreur sur une île factice. Et à de nombreuses occasions, les créations se mélangeaient. Au fantasme d’intégrer un pirate des caraïbes dans la quête des mystérieuses cités d’or, je prenais le contrôle d’un récit, modelé dans l’engagement de mes romanesques pensées. L’œuvre originelle n’était plus qu’une étincelle narrative, vouée à la déformation.
Car à ma table ronde, trônaient des chevaliers aux horizons divergents. Là où s’élevait un McClane aux mains d’argent, je m’appropriais des œuvres jusqu’à la perversion : un tuning affectueux afin de les faire vivre dans le renouvellement. Et face à ce gamin émerveillé par la puissance d’un art et sa mécanique visuelle, l’appropriation ne constituait au final qu’une identification référentielle : émigrer d’un réel de limites à un monde du possible, devenir le héros de ses influences cinématographiques, et se donner une raison de vivre. A ce jeune pensif, je dis : Pimp My Life. J’étais un enfant, j’ai grandi, j’en suis toujours un. Ai-je oublié ? Sûrement pas. Car Ready Player One a réveillé en moi un volcan qui n’était pas éteint.
Spielberg m’a ouvert l’univers infini que constitue le Cinéma. Sans lui, pas de Clouzot, pas de Leone, et encore moins de passion. Sur mon vélo, je rêvais de pouvoir m’envoler aux côtés d’E.T. Disparaître vers un pays imaginaire, là où s’agiterait l’iconique fouet des fantômes du passé. Mais la nostalgie ne serait-elle pas devenue une perdition instrumentalisée par la corporation Hollywoodienne ? Ready Player One en questionne ainsi ce désir de revivre l’instant, et la nécessité d’aboutir à un compromis, là où l’utiliser est un signe de passion, et où s’en déraciner est signe de libération. L’embrasser pour mieux s’en détacher en quelque sorte. Puisqu’en voulant revivre le passé sans la volonté d’en poursuivre les lendemains, la nostalgie nous fait vivre autant qu’elle nous enferme.
Au contraire, l’ambition de Spielberg s’inscrit dans un entre-deux, condensant l’exutoire référentiel dans une déclaration d’amour à l’art du voyage dans le temps. Comme pour faire de cette culture populaire, un géant de fer à l’épreuve du temps. Peu importe les références, du moment que chacun y trouve un morceau d’affection. Puisque la référence est le film, et non le film, un amas de références. A l’image d’une chambre d’enfant où cohabitent des jouets aux licences multiples. Et au cœur de ces influences, une seule conviction : faire du jeu une partie de soi. Un parfait compromis entre les générations et les passions, du gamer au cinéphile, du poing levé à l’héritage culturel. Sans distinction dans l’émerveillement.
Car Ready Player One est une œuvre définitivement tournée vers la jeunesse. Puisqu’il ne tient qu’à nous d’assurer la relève et de perpétuer le patrimoine spielbergien. Un auteur qui continue à vivre à travers ses œuvres. Car elles parlent de lui. De l’enfant qu’il a été au cinéaste accompli qu’il est devenu. Deux facettes d’un même mythe, qui se confrontent et s’additionnent. Ready Player One incarne cette œuvre testamentaire, cette œuvre somme, cette manière détournée pour Spielberg de questionner « l’anamorphose » de son héritage et plus largement, la trace indélébile qu’il (v)a laissée au cinéma. Jusqu’à devenir double dans l’Image du créateur-passeur et du jeune Padawan. Un éternel enfant, insufflant à ses créations une sincérité sans égale. Audace testamentaire coagulée en une scène ahurissante d’exploration cinéphile : d’une hache au contact du bois, d’un couloir sans fin au bal des mentors perdus, Spielberg revisite son éducation, par un hommage à un ami manqué, et connecte son passé à la virtualité du présent.
D’un simple plan-séquence inaugural à la fluidité d’une course matricielle, la mise en scène se libère des chaînes de l’impossible en imposant son dynamisme, et se construit dans le jeu de la révélation des dessous de carte, qu’il s’agisse d’indices et de clés, ou du réel et de son illusion. Cette virtuosité technique n’étant présente que pour projeter davantage son spectateur dans l’extase de l’Oasis. Et même si la morale de cette confrontation réel/ virtuel se veut d’une simplicité enfantine (au diable le classicisme de son scénario et les facilités narratives), elle est imprégnée de cette foi en un monde de possibilités, de nouvelles rencontres, et d’ouverture permanente à un lieu de pure imagination. Veux-tu changer le monde ? Il n'y a rien contre ça.
Car l’aboutissement de cette virtualité serait paradoxalement d’en faire une matérialité : recréer une connexion en faisant d’un réseau social un véritable cercle d’amis. Derrière mon avatar, bat le cœur d’un cinéphile, qui à chaque pas, à chaque avancée, s’efforce à donner à ses mots la bienveillance de sa passion. Un seul dérapage suffirait d’ailleurs à reléguer cet écrit à la corbeille. Mais je m’égare. Car en exploitant l’artificiel, Spielberg y injecte ses obsessions humaines, cette sainte grenade de générosité, qui avait déjà fait exploser mon cœur dans son A.I. Intelligence Artificielle.
Et à cette nécessité de rester fidèle à l’utopie qu’il a construite, nous nous devons d’entretenir ce lien cinématographique, érigeant l’imaginaire en collectif : cette salle de cinéma où les inconnus se dévoilent en exprimant des émotions à un ensemble. Un réel qui ne semble être qu’une illusion. Comme le murmure d’une Fée clochette dans l’oreille d’un adieu : « Tu vois ce moment entre le sommeil et le réveil, ce moment où on se souvient d'avoir rêvé ? C'est là que je t'aimerai toujours, c'est là que je t'attendrai. » Oui, je t’aimerai toujours Cinéma, toi qui as fait de ma vie un endroit où les journées se renouvellent en rêves sur pellicule et en Stayin’Alive.
A l’instar d’une citation de Superman où « Certains lisent l'emballage d'un chewing-gum, et y découvrent les secrets de l'univers », il m’aura fallu d’une seule séance de Ready Player One pour redécouvrir le cœur de ma passion. Ressentir le besoin de s’évader, et l’envie d’y retourner. Je n’avais pas envie d’en faire une critique. Et en cela, ce modeste texte ne se veut être que le plus évasif possible. Pour vous garder la saveur des premiers émois, une découverte personnelle dans laquelle chacun, je l’espère, y trouvera son totem de satisfaction.
Que serait d’ailleurs le monde sans nos passions et nos souvenirs d’enfant ? Et en ce sens, même le personnage de Ben Mendelsohn y trouve une rédemption ; dans un sourire fugace, furtif, où la lumière d’un œuf surprise illumine les cœurs d’un monde, qui ne demande qu’à rêver. Ready Player One célèbre cette envie de redécouverte ; dans un regard, celui du créateur sur son œuvre et d’un spectateur sur son propre émerveillement.
Shying away... A ces lumières qui se rallument, à ces yeux encore enivrés par le spectacle couchant, un seul mot me ramène à la raison : « Rosebud ». Mes pensées le crient, alors même que mon regard l’écrit. Car Ready Player One est ce bouton de rose sur lequel les souvenirs défilent. Un lecteur de diapositives à défilement continu. Comme pour décorer une vie des objets de sa passion. A contempler les nuages, à écouter des bandes originales de films, ou à collectionner des babioles cinéphiles. Et à défaut d’un bouton de rose et d’un traîneau, il aura simplement fallu d’un ticket d’or, pour m’ouvrir les portes d’une chocolaterie, d’un pôle express, ou simplement d’une salle de cinéma. En bonne et due forme. Jusqu’à verser une larme pour rêver les yeux grands ouverts.
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