Attendu depuis plusieurs années, Ready player one (sorti deux mois après Pentagon papers bien que tourné avant) suscitait autant d'attentes que de méfiance. Réputé inadaptable, le livre éponyme d'Ernest Cline (co-scénariste du film) était en grande partie un hommage à la filmographie de Spielberg. D'où une double crainte : la déception technique et l'autocélébration. Mais, entre une course automobile démente en guise d'ouverture et une bataille finale d'une rare virtuosité encadrant un hommage génial et ahurissant à Stanley Kubrick, Ready player one se révèle être le film le plus enthousiasmant et novateur visuellement depuis Avatar (2008). Renvoyant les films de super-héros (Marvel, DC Comics) au rang de longs clips sans intérêt, Spielberg fait muter l'image en lui donnant une plasticité inédite qui lui permet de passer d'un plan à un autre sans cut par sa métamorphose ou les aller-retours entre virtuel et réel. Une image dans laquelle les personnages vont finir par se promener, tels les policiers de la section pré-crime de Minoriry report, à la recherche d'indices et de solutions. Or, plus le film avance, plus le réel tente d'y reprendre sa place en heurtant et contestant le virtuel pour tenter d'en extraire ses personnages rappelés, par la force et l'urgence des événements, à la réalité. Car, comme dans Jurassic Park (1993), qui fut une première révolution technique apportée par Spielberg, les créatures finissent par se révolter contre la superstructure qui les a générées. Là encore, le personnage et le spectateur oscillent entre émerveillement et fascination (dinosaures vivants, fantasmes sans limite) et terreur (manipulation génétique, capitalisme forcené, oubli du réel, fausse identité).
Surtout, derrière ses allures de grosse machine sans âme, Ready player one devient le film d'un auteur qui s'interroge sur le cinéma (et le sien en particulier). On savait que les films de Spielberg étaient un "univers de jeux" (selon le titre de l'ouvrage de Cyrille Bossy) et il est donc passionnant de le voir traverser le monde de l'Oasis où les références à la pop-culture et aux jeux vidéo sont omniprésentes. Mais Ready player one est un faux film nostalgique, un faux catalogue de références et une véritable invitation à regarder devant soi, ou plus clairement, à voir les choses en face. Spielberg multiplie bien les références mais pour mieux les rejeter à vitesse grand V hors du cadre, les sous-exploiter, voire carrément les pulvériser dans un jeu de massacre. Si bien que, convoquant Orson Wells (Citizen Kane) et imitant au cours d'une scène Brian de Palma (Mission Impossible), Ready player one a l'allure d'un grand divertissement et d'un film personnel. Il n'est sans doute pas innocent que Wade ressemble fortement au jeune Spielberg ni que Hallyday, en créateur de mondes et d'aventures, soit une sorte d'alter ego du réalisateur (comme il l'était déjà dans Le bon gros géant). Un alter ago dont la dernière réplique, touchante, sert à Spielberg à s'adresser directement au spectateur. On verra alors dans Ready player one, film quasi dépourvu d'émotions et à l'histoire simpliste, un revival des films Amblin des années 80 (type Goonies), une mise en images d'un capitalisme sans foi ni loi (les êtres réduits à des avatars qui collectionnent des pièces, une économie qui récupère toujours les mouvements culturels), ou un film dans lequel, comme l’œuf de Pâques qu'il faut trouver, le testament est dissimulé sous le spectaculaire.