Il avait commencé à s'échauffer sur Tintin et le Secret de la Licorne. On pouvait se demander comment Steven Spielberg allait continuer à utiliser la performance capture. Le bougre l’a fait en décidant de porter à l’écran le roman Ready Player One, d'Ernest Cline. Il y est question d’un monde virtuel, l’Oasis, dans lequel une population qui a abandonné tout espoir de résoudre ces problèmes trouve refuge. Ce monde virtuel où tout est possible, à commencer par la possibilité d’incarner tous les personnages issus de la pop culture que l’on veut, a été créé par un homme -James Halliday- qui a décidé de confier les clefs (littéralement) de son royaume à celui qui parviendra au bout de trois épreuves. Parzival (ou Perceval, le personnage arthurien qui a trouvé le Graal dans la mythologie) est le héros de cette quête, et il rencontrera des alliés comme des ennemis pour en venir à bout.
Le pitch est très Spielbergien mais aussi très « Amblin ». On pense évidemment aux Goonies ou à Indiana Jones. Ca tombe bien, puisque Ready Player One est un concentré de pop culture. Chaque plan est l’occasion de faire une référence à un univers. L’Oasis, et le fait qu'on puisse tout incarner, donne des possibilités presque illimitées au réalisateur amateur de jeux vidéo qui cite principalement des œuvres qui ont gravité autour de lui, mais jamais les siennes directement. Mais contrairement aux habitudes récentes de singer d’anciennes productions, Ready Player One ne se contente pas de recopier pour rendre hommage mais bien de s’emparer de ces éléments pour mieux s’en servir dans la narration. Vous verrez le Géant de Fer, mais pas question de mettre dans sa bouche la fameuse réplique du dessin animé de Brad Bird : il est ici pour servir l’action, pas pour apporter du réconfort et un coté « déjà vu » au spectateur nostalgique. Les plus geeks d’entre vous buggeront quand même sur les milliers de petites références, certaines musicales, d’autres forcément visuelles qui n’apparaitront qu’à la seconde ou troisième vision.
Mais ces références ne sont pas le propos en tant que telles. Elles servent à montrer que Steven Spielberg a tout compris aux générations, l’ancienne qui se réfugie dans la nostalgie mais aussi la nouvelle hyperconnectée. Avec son Oasis créé par trois hommes qui pourraient être les héros de The Social Network devenus vieux et cet univers foisonnant, le réalisateur met en opposition le réel et le virtuel (littéralement d’ailleurs puisque le personnage virtuel voit plusieurs fois des scènes du monde réel) pour mieux montrer qu’en 2018 l’un et l’autre ne font plus qu’un. Le réalisateur montre aussi à travers les personnages qu’il est un joueur émérite, que ça soit avec un casque VR ou avec la manette d’une vieille console Atari dans les mains. Alors qu’un film comme le dernier Jumanji tente de reprendre les codes vidéoludiques souvent en vain, alors que la performance capture est perçue par beaucoup comme un gadget, il faut un vieux monsieur de 71 ans ( !) pour sublimer tout ça et pour permettre, à travers également une galerie de personnages savoureux et un optimisme constant, pour nous ouvrir les yeux sur le monde dans lequel on vit.
Qui plus est, Spielberg livre à travers Ready Player One un film très personnel, le faisant s’exprimer à travers le personnage de James Halliday, qui se renvoie lui-même au petit garçon qu’il a été et qu’il aime bien avoir à ses cotés. Il n’est pas question de s’assoir confortablement dans la nostalgie mais bien de montrer ce que notre culture, toute geek qu’elle soit, nous a permis de devenir qui on est maintenant. Cette scène, d’ailleurs, sonne comme le testament d’un réalisateur qui voit venir la fin de sa carrière et qui voudrait bien passer le flambeau à la jeune génération.
Vous veniez pour les références ? Vous repartirez non seulement pour les thématiques mais aussi pour la mise en scène. Steven Spielberg livre un film incroyablement dynamique, toujours lisibles et certaines scènes sont particulièrement mémorables, à l’image de la course de voiture vue dans la bande-annonce qui est juste monumentale. Les passages entre le monde réel et l’univers virtuel se font avec une telle souplesse qu’on finit par ne plus se rendre compte d’où on est. Les séquences sont longues, très longues parfois, ce qui fait du bien à une époque où tout est sur-découpé. On considère souvent Spielberg comme le meilleur mais la maestria dont il fait preuve ici ne fait que le confirmer.
Deux micro bémols néanmoins : certains seconds rôles sont un peu trop sous utilisés, tout comme la bande originale d’Alan Silvestri certes de qualité mais noyée dans les morceaux de musique des années 80.
Ready Player One est une grande aventure comme le réalisateur en produisait sous la bannière Amblin, et le premier film des années 2010 à en mériter l’appellation. On pense à la fois aux Goonies, à The Social Network et aux robots géants de la pop culture japonaise, le tout en 2h20 tourbillonnantes et on sort de la salle après avoir traversé une palette d’émotions comme on n’en avait plus vu en salles depuis Mad Max Fury Road. Un classique instantané.