C’est comme si un rêve rencontrait une mise en abîme qui se plaît à rêver, de rêves. Plus que se rencontrer d’ailleurs, ils s’imbriquent, ils se mélangent. C’est donc l’histoire d’un rêve dans le cauchemar d’un rêve du rêve d’un film dans le film, ou l’inverse peut-être… Les personnages rêvent d’eux-mêmes, se croisent et s’y voient, se dédoublent et s’annihilent. Le temps se contorsionne, se replie, revient en boucle, revient en arrière, revient en avant. Le cinéma est partout, la vie est un film, le film est un rêve, le rêve est la vie. À chaque nouvelle scène, le rêve embraye sur le film dans le film embrayant sur la réalité qui embraye sur les rêves, et ainsi de suite, en mode Möbius.

On s’y perd, forcément. On s’en délecte aussi (ou s’en désintéresse, à la longue). Les connexions s’emmêlent, les points de passage entre réalité et songes s’effacent et se fondent, deviennent impossible à prédire, dur à discerner. Il y est question de gémissement parfait à trouver, d’une cassette vidéo mystérieuse récupérée des entrailles d’un sanglier, d’une petite fille qui s’appelle Réalité, d’un producteur dingo qui tire sur des surfers et d’un homme qui deviendrait fou. Mais ce n’est pas sûr. Sommes-nous même en train de regarder ce film dans une salle de cinéma, à l’aise et confortables, ou rêve-t-on de ce film dans le rêve d’un autre film qui serait la réalité ?

Réalité, ou la synthèse dupieuesque qui aurait tout digéré de Vidéodrome, de Mulholland Drive et de Luis Buñuel, synthèse d’à peine une heure et demi avec des télés tueuses comme le pneu serial killer de Rubber, le minimalisme surréaliste de Wrong et quelques flics ici et là qui viennent évoquer Wrong cops. On met du temps à rentrer dans cette folie douce, ce sans queue ni tête aux intrigues microscopiques qui cherche un peu trop l’absurde par l’absurde, marque déposée du cinéma de Dupieux. Scandé par la mélopée itérative de Philip Glass, Réalité tourne en rond, fait du surplace, et de ces circonvolutions incertaines, Dupieux livre sa vision du monde du cinéma, décalée, angoissante et tortueuse. Un labyrinthe à la Escher. Un rêve sans ombres à la Pirandello.
mymp
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le 11 févr. 2015

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