La réalité illusoire et artificielle du cinéma
Agissant en circuit fermé, fait de ritournelles (accentuées par la musique faite de notes simples et répétitives), de non sens, et de destruction logique, Quentin Dupieux réalise un film de CINEMA. Même si son ton surréaliste ne peut plaire à tout le monde, et même si 100 ans de règne hollywoodien ont conditionné notre expérience de spectateur, voilà ce que devrait être un film de cinéma (selon son cinéaste, bien entendu) : détaché, sans adhésion, pur. Le film pour ce qu’il est et non pour ce qu’il dit. Ou du moins, l’amour d’une gestuelle et d’un langage cinématographique que l’on apprécierait pour ses occurrences, et non pour une construction narrative d’ensemble ; pas dans une optique d’exploitation, de torsion de l’image, pliée et domptée par le cinéaste pour les besoins d’un propos et d’une histoire.
En cela, Réalité emprunte beaucoup à l’esthétique du rêve et du surréalisme de David Lynch, qui invite le spectateur à aimer le cinéma pour son expérience sensorielle, et non pour son propos narratif.
Tout le jeu de mise en abyme du film de Quentin Dupieux, et sa distanciation avec le spectateur, s’inscrit, à rebours, au mouvement post-moderne cinématographique enclenché dans les années 70 (de Godard aux Straub, en passant par Reiner Werner Fassbinder). Pourtant, il y a une dimension réellement séduisante et accessible au grand public dans le film de Dupieux.
Cela tient finalement à ce scénario à tiroir, qui creuse à chaque fois une nouvelle abyme : le film dans le film du film, qui croisent le rêve ou l’hallucination des personnages. Tout ce non sens, orchestré avec joie, confère, incroyablement, une réelle émotion.
Et Dupieux, loin d’être fermé au classicisme, reprend des formes wellesiennes (les motifs triangulaires des portes, la tour de verre du bureau du producteur). C’est donc dans un même mouvement de classicisme (des codes narratifs facilement assimilables par le spectateur) et de détournement surréaliste puis post-moderne, que Dupieux produit des effets purement cinématographiques. Par exemple, lors de la scène de téléphone, quand Alain Chabat découvre que son projet de film a déjà été réalisé, et qu’il appelle le producteur d’une cabine téléphonique en plein centre ville, le contrechamp place Chabat en pleine foret. Les scènes se répètent alors, mais avec de légères divergences, les espaces se décloisonnent, le film se libère, et entre dans un circuit infernal dont il sera difficile d’échapper. La grande interrogation qui intrigue le spectateur étant de savoir comment Dupieux peut-il terminer son film, en brisant le cercle de répétition. Pour être franc, je ne suis pas sur qu’il le fait, et le film se termine sans se terminer, un peu comme dans la ritournelle narrative de Lost Highway de David Lynch.
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