Avec "Rebecca", sorti 18 ans avant "Sueurs Froides", Hitchcock pose la première pierre d'une réflexion sur la mémoire et la représentation cinématographique. La jeune et (très) naïve héroïne tente de trouver sa place dans le cœur d'un homme richissime, dur et veuf. Elle n'y parviendra qu'à l'issue d'une enquête criminelle faisant toute la lumière sur les raisons du décès de l'épouse.
Hitchcock dessine avec soin deux personnages tourmentés dans de superbes décors gothiques qui donnent au film une bonne partie de son charme. Dans ma mémoire de spectateur, "Rebecca" a désormais trouvé sa place.
En effet, tout le film est hanté par une morte dont les deux héros (ainsi que la gouvernante) n'arrivent pas à se départir. Hitchcock prend un malin plaisir à ne jamais mettre en image cette morte qui, dans la dernière partie du film, finira par révéler tous ses mystères.
Il est remarquable de découvrir que le procédé utilisé ici est l'exacte miroir de celui qui sera utilisé dans "Sueurs froides". Dans "Sueurs Froides", le héros incarné par James Stewart tentera par tous les moyens de recréer et retrouver l'être aimée. Dans "Rebecca", la femme disparue ne veut pas quitter le présent et ses contemporains. Elle s'impose à tous comme une évidence, comme un être torturé qu'il est inconcevable d'oublier. Hitchcock prépare, avec patience et malgré les contraintes des producteurs, le terrain d'une réflexion majeure sur le souvenir et la passion (du cinéma).
Chris Marker poursuivra cette réflexion en 1962 avec "La Jetée", remake de "Sueurs Froides". En reliant ces trois œuvres, le spectateur se hissera au bord d'une réflexion vertigineuse sur l'image et l'existence.
Ma critique de "Le jetée" est disponible ici.