Le tournage de ce premier film américain ne fut pas de tout repos pour Alfred Hitchcock : alors qu'il pensait être enfin libre de réaliser des longs métrages comme il l'entendait, Hitch dut vite se faire à l'idée que le patron, c'était le producteur David O. Selznick et personne d'autre. Le scénario fut largement réécrit, et le casting lui fut imposé. Comme souvent, sa relation avec les acteurs fut tumultueuse, et Laurence Olivier finit même par se désintéresser complètement de son rôle. Un comble quand on sait qu'il fut oscarisé pour ce personnage d'aristocrate au passé trouble...
Pourtant, Rebecca est un bon cru qui mérite amplement sa place dans la filmographie du maître. Malgré l'absence de suspense et d'humour, il se dégage quelque chose d'intrigant de ce grand château vide. On a envie de visiter les ailes désaffectées et de s'y perde en même que l'héroïne fragile et innocente incarnée par Joan Fontaine. Comme le dira lui-même Hitchcock, Rebecca est d'une certaine manière "l'histoire d'une maison". Le couple ne fait presque que de la figuration, et à ce propos, on pourra regretter le manque d'alchimie entre monsieur et madame de Winter. Pour un couple fraîchement marié, je les trouve étonnamment froids l'un envers l'autre...
Judith Anderson leur vole littéralement la vedette dans son rôle de gouvernante glaciale, fourbe et probablement lesbienne : en effet, malgré la censure de l'époque, les indices sont disséminés un à un tout au long du film pour évoquer la relation plus qu'affectueuse qui liait madame Danvers à sa patronne. La légende dit aussi qu'Hitchcock n'a jamais filmé ses pieds pour donner l'illusion qu'elle flottait sur le sol, tel un fantôme errant inlassablement dans les couloirs du château... La scène où elle se déplace dans le noir, seulement éclairée par la lumière vacillante d'une bougie, m'a ainsi donné froid dans le dos, et à mes yeux, c'est elle qui aurait mérité un Oscar pour sa formidable prestation !
Mon seul gros reproche concerne la dernière demi-heure : on aurait pu se passer du procès et par la même occasion du personnage incarné par George Sanders. L'intrigue est artificiellement rallongée, et avec plus de deux heures au compteur, Rebecca dure trop longtemps. Agacé par les conditions de tournage difficiles, le réalisateur jugera sévèrement le résultat en affirmant qu'il ne s'agissait "pas d'un film d'Hitchcock", et que "l'histoire était assez vieux jeu et démodée". L'académie des Oscars fut d'un tout autre avis, puisque Rebecca fut sacré "meilleur film de l'année" en 1941.