Blanc : la neige, la neige, la neige, partout présente ; en tapis, fin ou épais, sous les chaussures noires et menaçantes des protagonistes ; en majestueuses gerbes poudrées, projetées par le formidable chasse-neige conduit par le héros... Un chasse-neige pour monture ?!... On n'ose y croire... Et pourtant...
Noir : le noir d'un humour omniprésent, surgissant là où on l'attend le moins, dessinant un sourire ou faisant éclater le rire sur les visages des spectateurs. Le noir des costumes portés par les méchants, ces "Kraftidioten", ces "Abrutis de violence" qui donnaient leur dénomination au titre original du film. Le noir des vues nocturnes, très nombreuses, parcourues de la mystérieuse clarté diffusée par la neige, et non moins superbes que les vues diurnes. Noir, enfin, des croix, catholiques ou orthodoxes, qui s'inscrivent, surmontant le nom des protagonistes "refroidis", sur de petits cartons faisant office d'inter-titres et s'affichant tout au long du film, après chaque disparition, en une sorte de générique soustractif aussi plaisant que glaçant.
Rouge : le rouge du sang qui gicle, éclabousse. Puisqu'il s'agira bien ici d'un film de vengeance, tout à la fois assez classique, par les causes, la méthode et l'efficacité ; mais aussi totalement subversif, par le ton et le décalage constant, à commencer par le chasse-neige qui transporte le héros dans sa mission. Héros massif, invraisemblable, mais glissant en tout lieu, au son soyeux de ses lames répulsives, à la fois omniprésent et insoupçonnable.
On touche ici au point de rupture entre Hans Petter Moland et Tarentino : autant on peut reprocher au second une fascination pour la violence, par le biais, entre autres d'une érotisation de celle-ci (chez lui, si l'on doit flinguer sous la table, autant viser les couilles, c'est plus excitant), autant, ici, la violence, plutôt comme dans le Tu ne tueras point (1988), de Kieslowski, est montrée sans dissimuler le malaise, voire le dégoût qu'elle peut provoquer, même si le réalisateur ne se refuse pas, ici, la satisfaction liée à l'efficacité du vengeur. Le titre original indique clairement, par l'association des termes "Kraft", "force, violence", et "Idioten", "les idiots, les abrutis", le peu de valorisation attachée à l'emploi de la violence. Jugement d'ailleurs formulé - suprême offense, venue de l'intérieur - par le fils du chef mafieux, lorsque celui-ci invite son descendant à frapper le grand camarade qui le maltraite : "Mais si je fais cela, je suis aussi bête que lui"... Et jugement qui explique sans doute que nombre d'exécutions se déroulent finalement hors-champ ou même, lors de l'ultime extermination, sans que le justicier ait à y prendre part, puisqu'il laissera aux "Kraftidioten" le soin de s'entretuer.
Mention spéciale à Bruno Ganz, lui aussi totalement décalé en Parrain serbe au visage grimaçant, tordu d'un rictus de colère et de mépris.
Et enfin, à l'ultime couleur, pour rejoindre Kieslowski : le bleu. Bleu du beau regard triste de Stellan Skarsgård, qui accomplira son œuvre de vengeance en homme qui a d'ores et déjà tout perdu. Bleu du ciel limpide, sous lequel la neige n'apparaîtra que plus blanche et immaculée, et le sang plus rouge.