Regain
7.5
Regain

Film de Marcel Pagnol (1937)

Un excellent Fernandel dans un personnage ignoble, où il se révèle odieux et détestable à souhait

"Regain" est un film de Marcel Pagnol, sorti en 1937, adapté du roman de Jean Giono (1930).
Évoquant le village provencal d’Aubignane, village en ruines où il ne reste plus que 3 habitants, ce film est la deuxième collaboration entre Marcel Pagnol et Fernandel après "Angèle" (1934), sans que Fernandel ait véritablement le rôle principal (bien qu’important), malgré une excellente prestation dans un rôle à la fois proche et très différent de ses types de rôles habituels.
Ainsi, ce village perché sur une colline d’Aubignane n’a plus que 3 habitants, et bientôt plus qu’un : le vieux forgeron Gaubert descend retrouver son fils Jasmin au village le plus proche, bien plus habité, la Mamèche, vieille femme, le quitte également, et il ne reste plus que Panturle, un chasseur costaud et rustre, assez sauvage, dans ce village.
Dans le village voisin en contrebas du village désert, le rémouleur Urbain Gédémus (Fernandel), a recueilli une femme seule abandonnée, surnommée Arsule (Orane Demazis), en proie aux avidités de plusieurs hommes. Cet homme, pouvant se montrer courageux mais souvent très lâche et peureux, emmène Arsule avec elle sur les chemins de montagne, dormant autour des sentiers, des chemins. Il utilise Arsule comme un animal, la laissant tirer sa charette, faire tout son travail, et la rabrouant, la méprisant violemment sans cesse. Effrayés par la silhouette de la Mamèche, se déplaçant devant eux à travers leur passage, ils se rapprochent d’Aubigane où, une nuit, ils trouvent le corps de Panturle, tombé dans la rivière du haut d’un arbre. Arsule le sort alors de l’eau. Alors que Gédémus ne souhaite pas s’en occuper, Arsule profite de la nuit pour réveiller Panturle, sauvé de la noyade, lui parler et faire connaissance avec lui. Panturle (Gabriel Gabrio), tombé sous le charme d’Arsule, et réciproquement, emmène alors Arsule dans sa vieille maison à Aubignane, la délivrant aussi de la tutelle violente et odieuse de Gédémus. Tous les deux commencent alors à vivre en couple au village, souhaitant le faire renaître, revivre, par la semence de blé, prêté par un ami de Panturle, ensuite vendu à la ville, leur permettant de s’enrichir, par l’acquisition de plusieurs biens et aliments sortant Panturle de son existence très sommaire, par le début de nouvelles cultures, dont le blé mais aussi d’autres, afin de faire revivre ce village abandonné, avec le soutien et l’enthousiasme des habitants du village en contrebas. Avec le projet, aussi, d’avoir des enfants pour repeupler le village et le ressusciter totalement...la rencontre d’Arsule et de Panturle, et leur amour l’un pour l’autre, permet au vieux village de revivre petit à petit, à Panturle de sortir de sa solitude et de la rudesse de sa vie, et à Arsule de sortir de l’étreinte néfaste de Gédémus, de trouver un homme bon et aimant pour elle, et de voir enfin, le bout d’un tunnel de souffrances et de tristesse, à travers son amour pour Panturle et ses projets avec celui-ci...Mais Gédémus, ayant perdu la femme, qu’il maltraitait et rudoyait mais qui était très utile pour lui dans son travail, et pour qui il avait sans doute une forme d’affection, cherche à la "reprendre", à la remettre entre ses mains, à la prendre à Panturle, et use de tous les moyens possibles pour ne pas se résigner à la perdre...
Ce film, que j’ai trouvé globalement un peu long et peu rythmé, ne m’a pas toujours passionné et parfois un peu ennuyé. La description des montagnes provençales, des petits villages entre collines et montagnes, dans les vallées, reprenant l’esprit de Jean Giono, y est sûrement pour quelque chose, bien que l’atmosphère retranscrite est parfaite à l’écran et correspond beaucoup à l’oeuvre originale par une ambiance de haute Provence toute particulière. La beauté des paysages se retrouve également dans cette adaptation de Pagnol, mais il est vrai que le côté descriptif, malgré son importance, ne m’a pas toujours passionné. Pour moi, le film aurait pu avoir 30/45 minutes de moins tout en gardant totalement l’esprit de Giono à l’écran.
Cependant, la description de ce village abandonné, en ruines, que les derniers survivants quittent, et de ces personnages si caractéristiques, si attachants, totalement uniques, proches des personnages habituels de Pagnol mais avec peut-être une part d’humanité encore plus grande et forte, est excellente dans ce film et fait sa grande réussite. Les acteurs y contribuent pour beaucoup aussi.
Dans le vrai rôle principal du film, Gabriel Gabrio, malgré son physique impressionnant et son côté très rustre, très sauvage à travers Panturle, fait preuve d’une sensibilité assez folle, et est particulièrement touchant dans ce film. L’affection qu’il a envers la vieille Mamèche, pour ses vieux amis Goubert et L’amoureux, et bien sûr l’amour qu’il éprouve pour Arsule, un amour tellement romantique et enfantin, divergeant totalement de son apparence brutale et violente, un amour simple, beau, et total en même temps, malgré l’extrême simplicité de sa vie, est simplement magnifique. Cet amour aussi surprenant que total pour une femme qui bouleverse totalement son existence solitaire et simple, pour lui mettre au cœur pleins de projets d’avenir, chamboulant positivement son existence, est parfaitement rendu par l’acteur, ainsi qu’une générosité, une amitié totale pour ses amis bouleversante, malgré sa pauvreté totale, mais le cœur d’or qu’il manifeste est parfaitement rendu par Gabriel Gabrio, qui dans ce rôle si généreux trouve un de ses meilleurs rôles. Orane Demazis, dans le rôle de Arsule, je la trouve toujours aussi intriguante, par son regard très beau et expressif, mais aussi un peu lointain, un peu détaché...quitte à sembler parfois aussi un peu insignifiante, comme c’est parfois le cas ici...sa manière de parler, sa nonchalance, tout ça la rend parfois un peu froide, dénuée de véritables émotions...ici, elle semble manquer d’expressions, que ce soit maltraitée par les hommes puis Gédémus et même ensuite avec Panturle...quand elle sourit, la différence se fait, mais je trouve qu’elle manque un peu de crédibilité dans son amour pour lui, un peu de folie, de passion, et se cantonne parfois à un jeu très machinal, robotique, sans passion, se sentant aussi dans sa diction, ses expressions, parfois trop effacés ou trop robotiques, théâtraux, malgré les évidentes qualités qu’elle peut manifester par ailleurs aussi...mais je l’ai trouvée assez irrégulière dans sa performance, tantôt très robotique, tantôt beaucoup plus spontanée et remplie de passion et alors, géniale à regarder jouer...une performance contrastée en somme. Prestations à souligner aussi de la célèbre Marguerite Moreno dans le rôle de l’inquiétante Mamèche, autoritaire, revêche et terrifiante à souhait, ou d’Henri Poupon, l’Amoureux, ami fidèle de Panturle sans qui les espoirs de renaissance du village inhabité et de reculturation, en somme de résurrection de ce lieu désert et mortel, seraient certainement restés vains. À noter également une nouvelle incroyable performance d’Édouard Delmont, à nouveau dans un rôle de vieillard, largement vieilli (il devait aimer ça !!!), semblant 90 ans au moins au lieu de ses 54 de l’époque (on savait déjà parfaitement vieillir les acteurs), et étincelant de talent dans ce rôle de vieux mourrant devant quitter Aubignane pour retrouver son fils et son affreuse belle-fille. Jouant un vieux malade, à l’article de la mort, il s’amuse comme un fou et est troublant de qualités, de talent dans son rôle, au point qu’il fasse totalement l’âge de son personnage, soit immensément crédible dans son rôle. Dans les scènes avec le duo fils/belle-fille comme avec son vieil ami Panturle, il est en plus remarquablement touchant et émouvant, et l’expressivité de la tristesse, de la fatigue, de la mort qui arrive sur son visage est juste magnifique et émouvante. Il nous fait pitié et peut faire pleurer. Delmont est une nouvelle fois excellent, et ajoute un côté pathétique à son personnage totalement réussi. Un rôle qui lui va immensément bien, et qu’il a sublimé à travers ce film. À noter la scène assez surréaliste mais tres drôle des gendarmes avec Robert Le Vigan, assez marrant dans ce rôle.
Enfin, comment ne pas parler de l’acteur star de ce film, pas le rôle principal ici mais sans doute le plus marquant et le plus brillant, à travers Fernandel, dans un rôle, rare, d’homme particulièrement méprisable et détestable...un homme vantard, lâche, peureux, menteur, manipulateur, hypocrite, où Fernandel, à contre emploi, est sublime. Un homme traitant avec une violence inouïe la femme qu’il a recueilli pour l’exploiter, un homme menteur et peureux mais se faisant passer pour courageux alors qu’il l’est moins qu’elle, un homme laissant travailler la femme à sa place, la rabrouant sans cesse, la maltraitant, mais criant partout qu’il l’aurait sauvé, un homme veule, hypocrite et opiniâtre dans sa fausseté et sa méchanceté, malgré tout humain, mais symbolisant, sans doute, la quintessence de la fausseté et de l’hypocrisie humaine. Fernandel, dans ce rôle, malgré tout assez comique par sa manière de parler tout seul, ses expressions, son côté pathétique et ridicule, sa bêtise malgré une forme d’intelligence assez unique, qui par ces traits, ressemble à ses films plus classiques, dans ce rôle à contre-emploi, est juste magnifique. Rien qu’une des dernières scènes, où il revient encore vers la maison de Panturle pour récupérer Arsule ou, au moins, de l’argent, on aurait envie de le frapper ou au moins de le virer violemment de la maison et de le faire partir à vie, tellement il est détestable et ignoble, ne voulant pas lâcher l’affaire, semblant vouloir refuser le bonheur d’Arsule et réclamant son petit argent auprès d’un homme pauvre, par sa veulerie et sa lâcheté typiques. Il aurait pu être aimé d’Arsule mais par sa violence et son mépris envers elle, n’a pas gagné son amour, la traitant comme un animal, l’exploitant et la torturant autant physiquement que mentalement. Elle le dit elle-même, "j’aime Gédémus comme un âne aime son maître". Fernandel dans ce rôle par ses expressions, ses regards, tantôt menaçants tantôt inquiétants, sa manière de parler pour lui-même, de marcher, bien servi par les dialogues de Giono et Pagnol aussi, arrive à composer un personnage d’une antipathie totale, méprisable, humain également car n’ayant pas que des défauts mais symbolisant les défauts humains, d’une lâcheté, d’une mauvaise foi totale, hypocrite et veule, sournois et intéressé, capable, même face à un homme beaucoup plus impressionnant physiquement et menaçant, de le forcer à lui donner de l’argent ou, opiniâtre dans son emprise néfaste sur Arsule, à chercher à la récupérer et à mettre fin, tel le diable et pour son intérêt , sans avoir le moindre amour pour elle, à son bonheur et à son avenir prometteur avec Panturle. Fernandel est ainsi excellent dans ce rôle et malgré ces caractéristiques humaines, nous fait détester avec force son personnage. Sans doute, lui aussi, malgré son imposante filmographie, une de ses plus belles compositions.
"Regain" est donc un film marquant de cette période, très réussi, où malgré quelques longueurs, la description de la haute Provence symbolisant l’œuvre de Giono, et de la beauté de ses paysages typiques, de ses villages, montagnes et collines, se marie très bien avec des personnages uniques, caractéristiques de cette ambiance, attachants et magnifiés par des acteurs excellents pour donner lieu à un film très puissant, dans l’ensemble à la fois beau et captivant, et restant, dans un rôle inédit, antipathique, ignoble et détestable à souhait, et par son immense talent pathétique, tant dramatique que comique à travers l’histoire et malgré une certaine forme d’humanité dans son personnage ; une des plus belles performances de comédien de la très grande carrière de Fernandel, une performance inoubliable.

wallersayn79
8
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le 14 août 2024

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wallersayn79

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