Le film "Regain" clôture mon petit cycle des trois films de Pagnol que j'apprécie le plus : "Angèle", "Le Schpountz" et "Regain".
Ce dernier film est une adaptation assez fidèle du roman de Giono d'autant plus fidèle que je crois savoir que Giono aurait participé à l'élaboration du scénario.
La première fois que j'ai vu ce film, il y a très longtemps peut-être à l'adolescence, bien avant d'avoir lu le roman original, j'avais déjà été subjugué par l'histoire et le jeu simple et chargé de symboles des acteurs. Film que j'ai revu un nombre important de fois et qui était introuvable en DVD jusqu'à il y a seulement deux ou trois ans. On le trouve à nouveau merveilleusement remastérisé avec une image et un son, excellents. Je viens encore de le revisionner et le plaisir, l'émotion sont toujours là, intacts. Je tire, toujours, ma petite larme à la scène sublime du pain qui est offert à Panturle par l'Amoureux (quel nom !).
Regain : c'est l'herbe qui repousse dans un pré après la fauchaison. Dans le sud, ici la Haute Provence, ce n'est pas tous les ans qu'il y a du regain. S'il fait trop sec, si l'été est précoce et très chaud, il n'y a pas de regain. Le regain est donc le signe d'une année faste, d'une richesse supplémentaire. De façon symbolique, le regain est signe d'un renouveau et ici, c'est la renaissance d'un village qui se mourait. Comme, justement, il y en a beaucoup, dans ce département peu peuplé, de villages que les jeunes ont déserté préférant descendre dans la vallée de la Durance au lieu de mourir à la tâche dans les montagnes.
Ce qui est magnifique dans ce film et dont je ne me lasse jamais, c'est que les deux derniers survivants du village, La Mamèche et Panturle, abandonnés de tout et de tous, se prennent en main pour attirer une femme, condition sine qua non pour espérer la chance de la renaissance du village. Ça se passe dans les années trente mais ça pourrait se passer à toutes les époques y compris préhistoriques. Rarement, je n'ai vu une œuvre où la femme est, à ce point, le symbole de la vie. La Mamèche mourra lorsqu'elle aura fini sa tâche parce qu'au même moment, Arsule, la femme, porte en elle un enfant conçu au village.
D'ailleurs, je ne compte pas le nombre de symboles immémoriaux soulevés dans ce film humaniste entre la force des grains de blé et du pain, la simplicité de l'entraide et de la solidarité, …
Le casting regroupe trois acteurs qu'on retrouve aussi dans "Angèle" et "le Schpountz"; Fernandel, Orane Demazis et Henri Poupon.
Henri Poupon joue trois personnages très différents que ça en est un plaisir. Le père bourru et indigne, une vedette de cinéma imbue d'elle-même et ici, le paysan humaniste.
Fernandel joue pour une fois un personnage moyennement sympathique. Certes, il sauve Arsule (Orane Demazis) d'un viol collectif mais c'est pour en faire son esclave. On peut dire que c'est la touche comique du film. C'est surtout l'homme idéal que la Mamèche trouve pour pouvoir en détacher facilement Arsule. Il a donc un rôle positif, à ses dépens !
Orane Demazis est superbe dans ce film, crédible et diablement émouvante. Elle était naïve dans "Angèle", avisée dans "le Schpountz". Elle est, simplement, la femme dans "Regain".
Gabriel Gabrio joue très bien ce personnage d'homme des bois au cœur tendre. Je ne connais pas bien cet acteur, vu uniquement dans un autre inoubliable film, "Croix de bois".
Et je termine par le meilleur, Edouard Delmont, artisan de la "renaissance" d'Angèle. Ici, aussi, il est artisan mais un artisan forgeron usé, qui contribuera, à sa façon, à la "renaissance" du village.
La musique, signée Arthur Honneger, résolument moderne, ajoute une certaine noblesse et puissance aux personnages et aux actions en évitant tout sentimentalisme. Elle sait s'effacer et se produire quand il le faut.
Bref, ce film est, pour moi, un chef d'œuvre inusable, intemporel.
Auquel, je pardonnerai, avec grand plaisir, l'image presqu'incongrue du poteau de ligne haute tension qu'on aperçoit quelques secondes dans le lointain. Au fait, est-ce si incongru que ça ?