Glen Ford a déjà contribué au lustre chromé du film noir dans Gilda : alors qu’il se présentait comme un ambitieux hors pair (avec I make my own luck pour mantra) réduit à la posture de victime d’un amour passionnel, Fritz Lang lui offre une partition résolument plus complexe dans Big Heat.


On reconnait bien les thématiques chères au cinéaste allemand : un contexte qui pressurise le personnage, contraint à sortir de sa zone de confort en affrontant un monde hostile dans des altercations propices à révéler sa part d’ombre.


L’invariant du film noir est ici poussé à l’extrême : la corruption policière est massive, et la première scène, abrupte, filme en caméra subjective un suicide d’un de ses pontes, dont l’épouse jouera un rôle majeur par la suite. Face à cette gangrène, Banon commence par incarner la figure solaire du flic intègre, avant que la mort de son épouse ne face office de point de bascule.


Un autre intérêt du film réside dans la place qu’il accorde aux femmes, qui ne sont plus des simples faire-valoir ou des archétypes de femmes fatales, mais jouent un rôle réfléchi, évolutif et complexe. Entre l’ange exterminateur et la mante religieuse corrompue, elles proposent de nouvelles facettes d’un monde décidément hostile et pourri jusqu’à la moelle.


Les eaux deviennent donc troubles, et le protagoniste lui-même peine à démêler ce qui relève de la justice de ce qui touche à la vengeance personnelle. Sur ce terrain ambivalent, Lang livre une partition assez efficace, exacerbant un peu la violence grâce au rôle de Lee Marvin en tueur sadique, mais dont le résultat final n’est pas non plus exceptionnel au regard de ce dont est capable le cinéaste. Un film comme Furie, l’un de ses premiers américains en 1936, est sensiblement plus subtil dans les réflexions qu’il met en place sur la question de justice, de vengeance et de rapport entre individu et collectivité. Et, sur le terrain du film noir à proprement parler, les locaux (John Huston, Jules Dassin, Robert Siodmack) n’ont pas eu besoin d’attendre l’arrivée de l’européen prodigue pour donner au genre ses lettres de noblesse.


(6.5/10)

Créée

le 18 déc. 2018

Critique lue 1.1K fois

28 j'aime

3 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

28
3

D'autres avis sur Règlement de comptes

Règlement de comptes
Artobal
8

Peut-on être hitchcocko-langien ?

En d’autres termes peut-on adhérer à la fois à Hitchcock et à Lang, c’est une question que certains ne se posent pas, et je les comprends. Elle inspira cependant certains débats dans les cercles...

le 9 août 2013

38 j'aime

23

Règlement de comptes
Sergent_Pepper
7

Délivre-nous du mâle

Glen Ford a déjà contribué au lustre chromé du film noir dans Gilda : alors qu’il se présentait comme un ambitieux hors pair (avec I make my own luck pour mantra) réduit à la posture de victime d’un...

le 18 déc. 2018

28 j'aime

3

Règlement de comptes
blig
7

3:10 pour l'hadès

Suite à l'étrange suicide d'un ponte de la police, l'inspecteur Dave Bannion mène l'enquête sur les raisons du geste. Rapidement les motivations s'éclaire et la triste réalité lui saute aux yeux : le...

Par

le 23 oct. 2014

19 j'aime

5

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53