Glen Ford a déjà contribué au lustre chromé du film noir dans Gilda : alors qu’il se présentait comme un ambitieux hors pair (avec I make my own luck pour mantra) réduit à la posture de victime d’un amour passionnel, Fritz Lang lui offre une partition résolument plus complexe dans Big Heat.
On reconnait bien les thématiques chères au cinéaste allemand : un contexte qui pressurise le personnage, contraint à sortir de sa zone de confort en affrontant un monde hostile dans des altercations propices à révéler sa part d’ombre.
L’invariant du film noir est ici poussé à l’extrême : la corruption policière est massive, et la première scène, abrupte, filme en caméra subjective un suicide d’un de ses pontes, dont l’épouse jouera un rôle majeur par la suite. Face à cette gangrène, Banon commence par incarner la figure solaire du flic intègre, avant que la mort de son épouse ne face office de point de bascule.
Un autre intérêt du film réside dans la place qu’il accorde aux femmes, qui ne sont plus des simples faire-valoir ou des archétypes de femmes fatales, mais jouent un rôle réfléchi, évolutif et complexe. Entre l’ange exterminateur et la mante religieuse corrompue, elles proposent de nouvelles facettes d’un monde décidément hostile et pourri jusqu’à la moelle.
Les eaux deviennent donc troubles, et le protagoniste lui-même peine à démêler ce qui relève de la justice de ce qui touche à la vengeance personnelle. Sur ce terrain ambivalent, Lang livre une partition assez efficace, exacerbant un peu la violence grâce au rôle de Lee Marvin en tueur sadique, mais dont le résultat final n’est pas non plus exceptionnel au regard de ce dont est capable le cinéaste. Un film comme Furie, l’un de ses premiers américains en 1936, est sensiblement plus subtil dans les réflexions qu’il met en place sur la question de justice, de vengeance et de rapport entre individu et collectivité. Et, sur le terrain du film noir à proprement parler, les locaux (John Huston, Jules Dassin, Robert Siodmack) n’ont pas eu besoin d’attendre l’arrivée de l’européen prodigue pour donner au genre ses lettres de noblesse.
(6.5/10)