Il y a un certain courage, chez Atom Egoyan, alors qu'il sait que son âge le place maintenant dans la dizaine à partir de laquelle les suivantes vont se mettre à peser de plus en plus lourdement, à se confronter ainsi à la représentation de mâles déclinants et ne cessant de prendre la mesure de leurs nouvelles impuissances.
Un grand vieillard, Christopher Plummer, portant encore beau mais arborant un cerveau miné par les oublis de mémoire, se retrouve ainsi lancé, télécommandé par un autre - superbe Martin Landau - cloué dans un fauteuil roulant, à la poursuite du criminel nazi qui, à Auschwitz, aurait exterminé sa famille. Son récent veuvage le dégageant de toute contrainte, il peut ainsi se lancer dans cette quête à travers les États-Unis, où Otto Wallisch est censé se dissimuler sous le nom de Rudy Kurlander.
Liste en main - ce Rudy a des homonymes -, Zev Guttman effectue tout un périple, qui le mène ainsi de rencontre en rencontre. Ici se déploient tout le talent et tout l'humour d'Egoyan, à travers les formes généralement imprévisibles que prennent ces rencontres, dont chacune est supposée pouvoir se révéler ultime pour celui qui accueille le vengeur armé d'un dehors bien inoffensif : entretiens déroutants, drôles, saugrenus, émouvants, voire poignants d'humanité en détresse se succèdent ainsi, mettant en contact des êtres ayant atteint un âge auquel mensonge et dissimulation n'auraient plus grand sens.
Après plusieurs de ces rencontres, plutôt placées sous le signe d'une certaine douceur, l'une va faire se dresser les deux octogénaires comme deux vieux cerfs l'un contre l'autre, en une très belle scène d'affrontement, au cours de laquelle la faiblesse des protagonistes n'en sera paradoxalement que plus grandiose. Peut-être parce qu'une efficacité redoutable est d'autant plus nécessaire que le combattant sait que ses forces ne le serviront pas longtemps ; peut-être parce que la panique peut permettre un ajustement d'autant plus féroce qu'il est moins réfléchi... Indéniablement, une grande vérité est ici atteinte, concernant les capacités de résistance de l'humain, son imputrescible réflexe de vie.
Après tant d'acuité et d'audace dans le regard, on regrette d'autant plus que la scène finale procède à un dévoilement en forme de coup de théâtre - du genre de ceux qu'affectionne tant le cinéma américain, cf. Shutter Island -, qui précipite le film dans l'artifice peu crédible et, au bout du compte, la solution de facilité, la pirouette d'esquive... Il n'empêche. Même si ces grands vieillards n'ont pas eu "une belle fin", le film a osé, par moments, une fine réflexion sur le grand âge et sur l'inscription du passé.