Le Canadien Atom Egoyan fait partie de ces cinéastes qui connaissent un taux d’attrition croissant. Depuis Exotica et de Beaux lendemains, de films axés intelligemment sur les thèmes de la perte et de la culpabilité, son audience ne fait que se tarir, faute à une sorte de manque de motivation dans sa réalisation.
Serait-ce également dû à une écriture devenue paresseuse ; toujours est-il que Remember, son nouveau film, est un des rares qu’il n’ait pas écrit lui-même, et qui est pourtant celui qui semble relancer l’intérêt du public envers son cinéma.


Zev est un nonagénaire qui vient de perdre sa femme Ruth. Il a une forme de démence sénile dont il reste peu clair si la mort de sa femme a contribué à précipiter l’évolution ou pas. Très vite, au soir de l’enterrement de Ruth, Zev est pris à part par son ami Max, qui vit dans la même résidence que lui : Max lui donne une épaisse enveloppe bourrée de dollars et une longue lettre. Comme il l’a promis à Max, Zev s’échappe de la résidence et part en mission à la recherche d’un nazi, bourreau de leurs deux familles. Zev et Max sont deux survivants d’Auschwitz, et vont former un aurige d’un genre particulier, un attelage tiré par une entité formée de Zev pour les jambes déjà tremblotantes, et de Max pour la tête : celui-ci, impotent depuis longtemps, fera une feuille de route très précise à laquelle Zev va devoir se conformer jour après jour malgré ses trous de mémoire à répétition. La mission est simple et définitive : Zev doit retrouver et attraper ce nazi, un ancien blockführer.


Le récit prend l’allure d’un road-movie entre les Etats-Unis et le Canada, puisque ce sont quatre personnes différentes que, dans ses recherches avec l’appui du Centre Simon Wiesenthal, Max a identifiées comme portant le nom de Rudy Kurlander, celui emprunté par l’ex officier SS. De presque tous les plans, Christopher Plummer est excellent dans son rôle de justicier commandé à distance par son ami Max. Sa progression et celle du film sont certes très linéaires, mais la découverte de chaque nouveau « suspect » et de son environnement ponctue le film d’un suspense qui le maintient dans une bonne dynamique. Chemin faisant, Zev rencontrera diverses personnes, généralement très bienveillantes –nous sommes dans un film canadien-, et notamment des enfants, ses propres petits-enfants, ceux qu’ils rencontrent dans les trains et les autobus, auprès desquels il s’illumine véritablement et apporte une vraie émotion au film. Grand acteur de théâtre shakespearien, Plummer est la personne toute indiquée pour ce personnage qui doit exprimer une grande panoplie de sentiments avec son seul langage corporel ; il incarne avec beaucoup de justesse le doute, la peur, et tous les moments d’incompréhension et de flottements qui composent sa vie. Après sa bouleversante prestation du personnage de Hal, le père d’Oliver (Ewan McGregor) dans Beginners de Mike Mills, un second rôle pour lequel à 82 ans, il a enfin eu un Oscar en 2012, Plummer semble vivre une prolongation des plus agréables dans son parcours d’acteur.


De son côté, Martin Landau n’est pas en reste pour rajouter une touche inquiétante à ce film ; bardé de tout un attirail médical, le personnage de Max a un air de folie accentué par la nature de ses agissements, une sorte de marionnettiste de l’ombre qui travaille en secret avec Zev.


Le cinéaste se repose beaucoup sur ce tandem qui marche presque en pilotage automatique ; le restant de sa mise en scène est plutôt classique et assez peu inspiré. Les dialogues de Benjamin August sont insipides dans l’ensemble ou au contraire vaguement prêchi-prêcha (notamment sur le mensonge et la vie, dans une des scènes finales du film). Et la musique sucrée de Mychael Danna vient encore affaiblir son dispositif.


Une des faiblesses du film réside également dans le traitement de sa démence sénile. Pour ne pas oublier la prochaine tâche à accomplir selon la lettre de Max, Zev écrit des petits mémos sur ses bras. Le scénariste s’appuie sur un référentiel cinématographique fort, celui de Memento de Christopher Nolan, et avec Atom Egoyan, ils prennent ainsi le risque de la comparaison. Le risque est d’autant plus grand que le traitement de la maladie est assez inconstant, très présente par moment, anormalement inexistante à d’autres, ce qui apporte une certaine couche d’incohérence au film.


Mais dans l’ensemble, le film d’Atom Egoyan est divertissant, avec sa construction en thriller à rebondissement. C’est sans doute là que le bât blesse et explique que beaucoup de foudres se sont abattues sur le film : le thème choisi, celui de l’Holocauste, ne souffre pas que l’on « s’en amuse », que l’on s’en serve pour divertir. Même si le thème du film, porté par ce titre impératif, voire impérieux, Remember, est une tentative de réflexion sur la mémoire , avec une exploitation de sa perte –ravage de la démence sénile-, de sa transmission – scènes avec les enfants-, de son caractère vital en somme, comme explicité dans le twist final du film, même si ce thème est louable et intéressant, d’une part, le scenario a tendance à ne faire que l’effleurer, et d’autre part, ce choix d’un pan douloureux de l’Histoire comme « prétexte » à faire un bon suspense ne fait pas que des heureux…


Malgré tout, Atom Egoyan a eu raison de se mettre au service de l’immense Christopher Plummer en lui offrant ce rôle énorme qu’il a sublimé avec un talent insuffisamment rencontré sur le grand écran, et en nous offrant un film qui nous fait réfléchir. Malgré tout.

Bea_Dls
7
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le 1 avr. 2016

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Bea Dls

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