Mélodrame sobre et pertinent rendant hommage aux marins et aux capitaines de remorqueurs en particulier, fonction du personnage de Jean Gabin (héros de Gueule d'amour en 1937 pour le même réalisateur). Remorques se déroule à Brest et donne une place à la communauté locale de l'époque. C'est l'un des opus les plus remarquables de Jean Gremillon, cinéaste très formaliste au début de sa carrière (influencée par l'avant-garde française dont font partie Jean Epstein et René Clair), s'épanouissant rapidement dans une voie où le réalisme prime, jusqu'à accumuler les documentaires en fin de parcours.
L'approche se fait à deux niveaux : en premier lieu Remorques expose la vie en mer, les conditions d'existence des marins et de leur entourage, avec le plus de déférence possible ; il apporte le même soin à décrire les cycles de la passion, de l'éveil jusqu'au cinglant point final. Le regard sur tous ces rouages est très net, avec ce qu'il faut de lyrisme pour éviter la sécheresse. La mise en scène de Grémillon soutient ces accents tragiques et présente un travail original sur le son (les cris du bateau), quelques séquences d'une grande beauté plastique, des événements flamboyants mais toujours très ancrés.
La force intrinsèque du film est justement cette limpidité, ce génie, à révéler les moments 'magiques' ou les grands drames de ces vies, plutôt qu'à flirter avec la fantaisie ; le chemin emprunté fait toute la différence, les déclamations sur la plage ou dans la maison vide n'ont que l'air d'appartenir à un rêve. La contribution de Jacques Prévert concourre à cette réussite, puisqu'il adapte le roman éponyme de Roger Vercel et assure les dialogues ; glissant discrètement la fameuse réplique « T'as de beaux yeux tu sais » dans la bouche de Gabin en écho à un certain film sorti un peu plus tôt. D'ailleurs la sirène lasse qui l'attire est encore Michèle Morgan, son idylle, la seule alors, dans Le Quai des Brumes.
Ce dernier est souvent considéré comme le plus grand représentant du réalisme poétique français, en tout cas le plus populaire. 'Classique' secondaire tombé dans l'oubli (la scène finale dans l'escalier était 'culte'), Remorques vaut bien celui, premier et autrement expressif, de Marcel Carné. En tout cas il peut largement être rattaché à ce genre, ainsi que l'oeuvre de Grémillon en général à cette période ; il en occuperait la branche la plus austère, mais pas moins puissante. Autre anecdote ; le tournage fut chamboulé par le début de la seconde guerre mondiale, forçant à quelques ellipses et à un décalage pour la mise en boîte des scènes de tempête, tournées un an après (1940) dans les studios de Boulogne-Billancourt.
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