Le nom d’Ernst Lubitsch n’est pas l’un des plus familiers du grand public. Moins retenu dans l’histoire que ceux des Fritz Lang, Frank Capra ou Billy Wilder, sa filmographie n’en est pourtant pas moins prolifique et marquante. Après avoir débuté en 1912, il réalisa nombre de films muets, dont La Princesse aux Huîtres (1919), puis réussit son passage au parlant, avec entre autres Haute Pègre (1932), et l’un de ses plus grands succès, Rendez-Vous.
Comme la plupart de ses films, Rendez-Vous est une comédie centrée sur une histoire d’amour conflictuelle. Ici, les protagonistes sont Alfred Kralik (James Stewart) et Klara Novak (Margaret Sullavan). L’un est vendeur dans une maroquinerie, l’autre une jeune femme à la recherche d’un travail, qui sera embauchée dans la même boutique. Alfred, depuis quelques temps, est en correspondance avec une jeune femme qui le fascine. A l’inverse, sa relation avec Klara est très conflictuelle. Le spectateur va vite comprendre que la femme idéalisée par Alfred est Klara, et que l’homme des rêves de Klara est Alfred.
Quand le cinéma s’avère être d’apparence un art très visuel, puisqu’il consiste en la succession très rapide d’images en un flux continu, cela ne fait pas tout, et Lubitsch le montre parfaitement à travers ses oeuvres. Ayant pu voir les deux films cités plus haut, ainsi que Jeux Dangereux (1942), que je considère comme étant un des chefs d’oeuvres absolus de la comédie, j’ai pu constater et apprécier l’incroyable talent de Lubitsch pour l’écriture de ses films. Rendez-Vous n’a fait que me le confirmer.
Avec des dialogues recherchés et raffinés, un humour très fin et extrêmement précis, Ernst Lubitsch propose au spectateur un travail s’apparentant beaucoup à une pièce de théâtre. Chaque personnage est bien développé, et leurs relations sont construites avec justesse pour nourrir une intrigue prenante et enjouée, rythmée par de nombreux quiproquos et chutes désopilantes. Une remarque que je m’étais déjà faite après avoir vu Jeux Dangereux.
Par exemple, lorsque l’on comprend que les deux collègues belliqueux sont en vérité amants par correspondance, et qu’ils doivent se rencontrer, nous sommes amenés à nous demander comment s’effectuerait cette rencontre. Dans la plupart des films actuels, Alfred se serait dénoncé, faisant fuir Klara, vexée d’avoir été dupée, et Alfred aurait passé la moitié du film à la reconquérir, débouchant sur un happy end prévisible. Ici, tout est tourné de sorte à n’attendre que la toute fin du film pour mener à sa résolution, grâce, justement, à une parfaite maîtrise des dialogues et du déroulement des éléments de l’intrigue.
Dans la veine de ce que je connaissais déjà d’Ernst Lubitsch, Rendez-Vous est une comédie brillante, enjouée, écrite avec beaucoup de talent, prouvant une nouvelle fois qu’un film n’est pas forcément beau que par son imagerie, mais aussi par ce qui le constitue à la base.