S’il est un récit qui sied bien à l’originalité d’un montage inversé, c’est bien celui de la vie d’un couple. Ozon s’y était déjà essayé dans 5x2 il y a près de vingt ans, et Daigo Matsui, réalisateur assez prolifique au Japon mais n’ayant jusqu’alors pas dépassé les frontières, s’y essaie aujourd’hui dans le très mal traduit Rendez-vous à Tokyo. Le film se divise en sept temps de la vie de deux personnes, toujours à la même date, celle de l’anniversaire du jeune homme, et remonte ainsi le temps jusqu’à leur première rencontre.


Il est donc théoriquement impossible de spoiler le film en révélant leur séparation, qui s’affirme dès les premiers plans : l’intérêt du récit à rebours consiste bien entendu à poser sur ce lien le poids d’une certaine fatalité, et la mélancolie quant à la certitude d’un échec à venir, et qui deviendra plus émouvant lorsqu’on assistera à l’âge d’or d’un couple ignorant tout de son triste et pourtant si commun destin. C’est donc sur une combustion lente que Matsui construit son film infusant dans la mégapole deux vies qui s’entrecroisent et tentent de conjurer une solitude apparemment indestructible. Tout le jeu des échos dans les premières séquences (le projecteur de l’un devenant les phares du taxi de l’autre, les gestes des bras se répétant entre eux…) traque ainsi les traces d’un amour perdu, mais qui perdurerait, et dresse le portrait d’individus résolus à vivre leur vie par procuration. Elle, en conduisant dans son taxi des gens qui ont la destination qu’elle a perdu ; lui, en suivant les danseurs sur la scène avec ses lumières depuis la régie, pour accompagner des gestes que son corps brisé ne peut plus accomplir.


La structure de chaque segment est fondée sur la répétition : la même journée et son rituel du matin, le trajet et le passage devant un homme en deuil dont on suivra, par fragments, la triste destinée, rappelant que l’amour au long cours est peut-être plus douloureux encore lorsqu’il s’agit de conclure définitivement. Les longueurs s’invitent volontiers, et les deux heures du film peuvent sembler excessives pour un sujet aussi ténu. On ne s’étonnera pas de voir brandie (de manière très surlignée et redondante, par ailleurs) le modèle du cinéma de Jarmush, dont le Night on Earth hante littéralement l’appartement du jeune homme et devient un fil rouge référentiel du couple. La même idée se retrouve dans la volonté de peindre la banalité et la délicatesse des individus, dans une romance qui s’acoquine avec les attendus du genre (une scène de danse devant un aquarium géant, un moment suspendu sur un toit surplombant la ville de nuit) tout en évitant malicieusement de s’y vautrer entièrement, à l’image de cette séquence où Sairi évoque un romantisme qui devrait traditionnellement s’accompagner d’une musique sirupeuse. Une façon de conjurer les poncifs qui renvoie au surplomb de lucidité et à l’aveu d’échec qui plane sur un film à la mélancolie délicate et somme toute universelle.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 2 août 2023

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