En grand modeste qu'il est, le cinéaste Jacques Tourneur a toujours refusé l'étiquette d'auteur, se voyant plutôt comme un honnête artisan soucieux de rendre le travail le plus propre possible. C'est oublier bien vite sa contribution inestimable au fantastique (entre autres genres), et son génie pour distiller l'angoisse, la vraie, donner corps à notre peur la plus ancestrale: celle du noir, de l'imperceptible.
A une époque où la Hammer fait une entrée aussi fracassante que sanglante (et en technicolor) dans le monde du fantastique, où l'on ne jure que par les envahisseurs, les monstres et le gothique, Jacques Tourneur fait le choix courageux du noir et blanc, du contemporain, de l'horreur suggestive, s'emparant d'une nouvelle de Montague Rhodes James pour continuer son exploration d'une terreur à peine suggérée.
Comme il l'avait fait sur des classiques comme "La féline", Jacques Tourneur prend son sujet très au sérieux, se refuse à tout sensationnalisme, préférant s'attarder sur la perception souvent fossé de ses protagonistes, faisant entrer insidieusement une forme de surnaturel dans le quotidien le plus banal, et confrontant une fois encore le rationnel à l'irrationnel, épousant le point de vue du scepticisme scientifique prônant que derrière chaque mystère se cache invariablement une explication logique.
Tendu et parfaitement rythmé, baignant dans une ambiance mortifère et mystérieuse, bénéficiant d'un travail remarquable sur la mise en scène et la photographie, "Rendez-vous avec la peur" est une étude fascinante sur les mécanismes de la peur, compensant ainsi quelques longueurs et un personnage féminin pas toujours utile.
On regrettera juste l'ajout de séquences additionnelles tournées par le producteur Hal Chester dans le dos de Jacques Tourneur, dévoilant bien trop tôt la créature et tuant ainsi tout suspense, une méthode malhonnête et purement mercantile, allant totalement à l'opposé de l'approche d'un cinéaste qui a toujours cherché à en montrer le moins possible, ayant bien compris que même le monstre le plus dégueulasse qui soit ne sera jamais aussi terrifiant que notre imagination.