« Maybe it’s better not to know »
Le film d’épouvante est un genre délicat, qui suppose une maitrise indéfectible de son réalisateur et une véritable intelligence du scénariste pour parvenir à ses fins.
Tourneur est très clairement un maitre du genre, qui a la malchance de travailler dans un milieu où les impératifs économiques vous contraignent à dépendre de producteurs, dont le moins qu’on puisse dire est que la finesse et la subtilité ne sont pas les qualités premières. D’où les fameux ajouts du début du film qui ruinent considérablement l’économie générale du récit. Fi de l’ambiguïté et de cette précarité délicieuse entre surnaturel et réalisme que Maupassant savait si bien doser. Sorte de prequel noir et blanc des Gremlins, le démon s’invite dans la séquence d’ouverture et force la compréhension du film.
Ce dernier met un certain temps à démarrer, handicapé par l’éventement de son ouverture. Mais la progression du personnage d’Holden qui voit son scepticisme radical se fissurer lentement prend de l’ampleur et occasionne, dans la deuxième partie, de très belles séquences. La photographie, la lumière sont parfaitement exploitées (et magnifiées par la récente réédition en Blu-ray) pour mettre en place l’atmosphère requise du film d’angoisse. Perspective infinie d’un couloir obscur, poursuite dans les bois nocturnes par un nuage de fumée, plongée sur un escalier au premier plan duquel une main apparait furtivement sur la rambarde, violence du fracas des trains face à un personnage déboussolé… Les morceaux de bravoure s’enchainent et le film délivre enfin toute sa puissance visuelle, forçant notre indulgence face aux maladresses du début. Tourneur s’en tire donc avec panache, et fournit lui-même la réponse au programme énoncé au sceptique qui commence à douter : « You say show me. I say look for yourself. »