Si Rithy Panh explore à nouveau le génocide cambodgien, c’est surtout pour questionner la forme de sa démarche. En multipliant ses supports et ses dispositifs, il crée ainsi un stimulant kaléidoscope filmique.

En 1978, alors que le Cambodge est ravagé par le génocide orchestré par les Khmers Rouges, trois journalistes obtiennent la permission de se rendre sur place, sous la stricte surveillance du régime. Mais comment rapporter l'horreur d'une telle réalité lorsque toute tentative de regard objectif est soigneusement contrôlée ?

Le film n’apportera pas de révélations sur le régime de Pol Pot à ceux qui connaissent l’histoire tragique du Cambodge, un sujet déjà largement couvert par Rithy Panh dans ses précédents documentaires et fictions. Tout au mieux, on aura envie de s’informer plus en détail à propos de cette sombre période du 20ème siècle à la sortie de la salle. Cependant, l’intérêt du film ne réside pas tant dans sa valeur documentaire que dans sa forme et sa réflexion sur la représentation d’un génocide à travers le prisme du cinéma.

La note d’intention est claire dès les premières minutes du film. L’image d’un avion, filmé comme dans une archive historique, est suivie par une scène en cabine où des personnages, joués par des acteurs, filment eux-mêmes l’atterrissage dudit avion. Par ce jeu de perspectives et de mises en abyme, Panh interroge la manière de regarder la réalité. Son dispositif, qui mêle divers supports filmiques, devient un outil de réflexion sur l’art de raconter l’indicible.

Le film s'inspire du roman d’Elizabeth Becker, journaliste américaine ayant vécu ce voyage sous le régime khmer. Dans cette adaptation, Panh et son scénariste transposent l’histoire dans un contexte plus "français". L’héroïne (Irène Jacob), rebaptisée Lise Delbo en hommage à Charlotte Delbo l’écrivaine survivante des camps de concentration nazis, est flanquée du fictionnel Alain Cariou (Grégoire Colin), un pur idéaliste soixante-huitard et sympathisant communiste. Au fil du reportage, le spectateur se demande constamment qui contrôle réellement le récit : les journalistes ou les Khmers Rouges, qui manipulent ces invités étrangers comme des pions dans une mise en scène macabre. L’ironie est palpable : ces agents d’un régime qui prône la destruction du passé et des témoignages historiques cherchent, par cette invitation de journalistes, à inscrire leur révolution dans la grande Histoire.

Puis il y a la forme qui propose une grande diversité de dispositifs : images d’archives, docu-fiction, pure fiction historique, reconstitutions avec des maquettes et figurines (un dispositif similaire à Green Line présenté cet été à Locarno ou encore à La Mère de tous les mensonges vu à Cannes l’année passée). Ce kaléidoscope visuel, qui pourrait n’être qu’un exercice de style, parvient à créer une poésie narrative tout en introduisant une distanciation émotionnelle face aux atrocités évoquées.

Certes, parfois le concept atteint ses limites et certaines bonnes idées aboutissent sur un résultat maladroit, comme ce climax, qui s’efforce de ne jamais montrer Pol Pot frontalement, mais qui finit par le faire ressembler à un méchant de James Bond avec son chat. Toutefois, ces rares faux pas sont vite oubliés, tant le film réussit à aborder originalement la question témoignage artistique de l’horreur absolue. Soyez au rendez-vous !


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le 26 sept. 2024

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