Requiem pour un massacre (rien à voir avec le célèbre film de Elem Klimov), aussi connu sous son titre international "I, the Executioner", est un excellent représentant — bien que très méconnu — de ce que le cinéma japonais des années 60 pouvait produire de conséquent en matière de film âpre, violent, extrêmement stylisé avec des contrastes tranchants en noir et blanc, et d'une noirceur presque tétanisante. Tai Katō s'embarque dans un thriller à la croisée des genres suivant un tueur en série dont l'identité ne sera à aucun moment cachée, et dont les intentions autant que les déséquilibres constitueront à la fois les enjeux, le mystère et l'intérêt principal de l'intrigue.
La première séquence est un concentré de fureur brutale, montrant l'assassinat sauvage d'une femme par un inconnu qui la force à inscrire le nom de quatre autres femmes sur un bout de papier. L'inconnu, c'est Makoto Satô, une gueule rare vue chez Kurosawa ou Teruo Ishii, et si rien ne nous est dissimulé du meurtre et des personnages, on ignore totalement le contexte et l'origine de la frénésie morbide qui anime le tueur. Une séquence d'introduction servie dans toute sa crudité, sans précaution, avant le générique, forcément marquante (une violence qui limite le visionnage à un public averti) et qui instaurera directement un climat austère et angoissant, en écho avec les autres à venir... Car le meurtrier en veut à cinq femmes pour une raison précise qui sera révélée tardivement, en lien avec le suicide d'un adolescent de 16 ans.
Si l'on est initialement aussi dérouté que semblent l'être les policiers en charge de l'enquête, à la différence près que l'on suit en presque totale omniscience les agissements du tueur, c'est en premier lieu la nature hybride du film qui frappe. Un thriller qui fera peser la révélation le moment venu, on le sent assez rapidement, mais surtout une variation un peu étrange de film noir qui s'approcherait d'un proto-giallo en version japonaise tout en mettant en scène un anti-héros se prenant pour un agent de la justice divine à l'œuvre dans un Japon dépravé d'après-guerre — il le dira explicitement lui-même : "The cycle of divine punishment must be fulfilled".
Au final le lien qui existe entre le suicide de l'adolescent et la folie meurtrière qui sème des corps mutilés de femmes sur son chemin, s'il constitue le centre de la trame scénaristique, se révèle beaucoup moins intéressant et prenant que le renversement sous-jacent opéré sur des valeurs traditionnelles. Les policiers l'avoueront à demi-mot : s'il était question du viol d'une jeune fille, ils ne se poseraient de question et condamneraient promptement la chose en la prenant très au sérieux. Mais comme il s'agit d'un garçon, leur lecture instinctive tend dangereusement vers la partie de plaisir inopinée, vers la réalisation d'un fantasme, et au final quelque chose qui ne mériterait presque pas d'investiguer. On ne mesure sans doute pas l'ampleur du discours à l'échelle de la société en question (le Japon des années 1960), mais il conserve une très large part d'universalité, en s'appuyant sur les statistiques en matière de violences sexuelles qui rendent difficiles pour certains, a minima peu naturel pour tous, l'appréciation d'une victime masculine. Cela n'empêche pas Tai Katō de faire le portrait d'un tueur misogyne (visions en ce sens plus classique au cinéma), investi d'une mission presque surnaturelle, concernant des faits et des personnes qui ne le concernaient pas, et se transformant en un mélange de juge, jury et bourreau dont le point d'orgue se matérialisera à l'écran à la faveur d'une incandescence aveuglante et très marquante.
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