A la lisière du documentaire, pour restituer l'ambiance et la vie de peuples autochtones dans un cadre exotique, je ne pense pas qu'il y ait mieux que Werner Herzog.

Pourtant à la base, j'avais une très grosse appréhension sur son cas, j'avais très peur de me lancer dans sa filmo, pour voir Aguirre ou Fitzcarraldo pourtant totalement cultes, non pas à cause de lui, mais à cause de son acteur fétiche Klaus Kinski qui symbolisait pour moi tout ce qui m'insupportait, l'égo démesuré injustifié, le surjeu abusif, la posture permanente, l'épaule tombante, la gueule horrible et irritante..

Et pourtant, j'ai fini par voir "Cobra Verde", et la claque fut énorme, que ce soit au niveau de la réalisation d'Herzog, la simplicité et la beauté de l'histoire, jalonnée de touches surréalistes, et l'interprétation retenue de Kinski qui avait fini par me scier.

Il y a d'ailleurs beaucoup de similarités, je trouve, entre Cobra Verde et Rescue Dawn, dans cette retranscription quasi-documentaire d'un monde insaisissable et hostile, aux antipodes du traitement hollywoodien.
En fait, Herzog a inventé un style, le documentaire poétique.

Pourtant, Rescue Dawn à la base n'a pas du tout été vendu comme un film réaliste et semi-documentaire, mais au contraire présenté comme un rambo-like plutôt sérieux où ça pète dans tous les sens avec beaucoup de suspense et d'action.

Halte-là, vous vous en doutez avec mon propos introductif, Rescue Dawn n'a strictement rien à voir avec cette bande-annonce mensongère et absurde, ce qui a d'ailleurs dû dérouter pas mal un certain public américain, choqué de voir Christian Bale jouer dans un film quasi-expérimental bien loin du film d'action promis.

Le film se base sur l'histoire réelle d'un givré féru d'aviation, Dieter Dengler, qui est complètement obsédé par l'idée de voler et qui donc s'engage dans l'armée pour bombarder quelques cibles au vietnam et pouvoir prendre son pied dans les airs.
Après un rapide briefing des officiers marines parés à s'engager pour leur première mission, ils ont l'occasion de regarder un bref documentaire humoristique sur la survie dans la jungle, une mise en abime prémonitoire de ce qui attend notre héros qui pour le coup ne va pas vraiment rigoler (quoique..).

Dès les premières minutes le ton est donné et l'immersion totale, l'avion de Dieter se crash immédiatement en pleine jungle ennemie, Dieter rampant dans la boue, puis piétinant et s'enfonçant dans des hautes herbes, il est tout de suite pourchassé par des hordes de vietcong qui fondent sur lui.

La réalisation est exceptionnelle, à tel point qu'on a vraiment d'être sur place, les plans d'ensemble sont grandioses et la tension est maximale.

De façon générale, je ne crois pas avoir vu de film restituant mieux la jungle et le vietnam, les décors sont à la fois sublimes et oppressants, et les personnages constamment happés par des environnements gigantesques.

Finalement, après une brève balade dans la jungle, le pauvre Dieter finira par se faire choper, subir des tortures d'une milice de Vietcongs sadiques puis être envoyé dans un camp de prisonniers où il va faire la rencontre de nouveaux geôliers, et surtout d'une bande de camarades dans la même situation, avec qu'il devra composer pour réussir son évasion, pour le pire et le meilleur.

Là encore petit point sur le style Herzog, il y a beaucoup de scènes de tortures, et pourtant, jamais elles ne sont instrumentalisées pour mettre mal à l'aise le spectateur, pour lui inspirer de la peine ou du dégoût, elles sont dures, mais les personnages apprennent à faire avec, et à résister.

D'ailleurs le personnage de Dieter, interprété avec grande classe par Christian Bale est assez génial, car il n'a rien du héros patriotique gonflé de sérieux et de solennité, non c'est un type un peu fantaisiste, un peu naïf aussi, qui garde le sourire en toute circonstance et qui du coup surprend vraiment avec son détachement (qui subit cependant quelques atténuations au cours du film, notamment de la fin).

Et globalement, on ressent cette légèreté dans tout le film, dans le sens, où les personnages composent avec l'absurdité de leur condition et de leur situation (prisonniers à vie dans un camp, mais pour quelle raison? Et en dehors du camp, la jungle constitue encore une plus vaste prison, bref on entre là dans un pur cauchemar kafkaïen sans fin), avec beaucoup d'humour, les dialogues sont à ce titre absolument fabuleux.

Mais malgré cette légereté, il règne une tension latente permanente. En effet une fois que Dieter arrive dans le camp, il rencontre 4 nouveaux compagnons dont Gene (interprété par Jeremy Davies) et Duane (Steve Zahn). Dieter lui n'a aucune envie de moisir dans ce trou perdu au milieu de nulle part, et projette immédiatement de s'évader, mais il n'aura pas le choix, il va devoir composer avec ses camarades, et donc gérer un véritable groupe qui devra être solidaire dans l'adversité, à savoir leurs geôliers, des vietcongs admirablement personnalisés qui ont chacun leur propre personnalité, et se voient même attribués des sobriquets qui accentuent encore plus le sentiment d'immersion et la crédibilité d'ensemble.

On le voit la force des prisonniers, et leur faiblesse, c'est leur groupe, ils dorment ensemble pieds et poings liés, ils vivent ensemble, survivent ensemble avec les réserves de riz misérables que les vietcongs parviennent à leur donner (eux aussi victimes de la famine, et donc par conséquent de moins en moins concernés par le sort de leurs prisonniers), mais ils doivent s'entendre, ils doivent s'accorder sur l'évasion, et des dissensions naissent, des oppositions, des difficultés.

En plus, leur état psychologique est particulièrement entamé, surtout Gene qui préfère croire à une libération hypothétique, plutôt que de tenter une évasion hasardeuse et vouée à l'échec dans une jungle mortuaire. Bref, dilemmes, désaccords, tout cela est orchestré brillamment et toujours avec énormément de finesse par Herzog.

Un petit mot sur Jeremy Davies qui est extrêmement impressionnant tant il est inquiétant, aux limites de la folie, menace permanente de la bonne exécution du plan de Bale, et qui à la fois parvient malgré tout à conserver un part d'humanité.

Tous les acteurs ont d'ailleurs perdu énormément de poids pour leurs rôles, ce qui donne des physiques squelettiques particulièrement effrayants.

Bref cette vie de camp et de groupe est de long en large absolument passionnnante, puis ils finissent par laborieusement réussir à s'évader, le groupe explose, et Herzog ne suit plus que deux personnages, le héros Dieter et son fidèle compagnon Duane, pour nous embarquer dans l'ultime partie du film : la survie dans la jungle.

A partir de là, la menace jusqu'alors plutôt mesurée des vietcongs, va être substituée par un danger permanent dans une jungle hyper hostile et sans pitié, jusqu'à une scène terrifiante de brutalité, de violence soudaine et inattendue, terrible et affreuse, et l'une des morts les plus marquantes que j'ai pu voir au cinéma...

Dieter se retrouvera seul en pleine jungle dans la nuit, délirant à moitié, dans des scènes magnifiques, perdu dans un cauchemar infini.

Finalement, il réussira miraculeusement à s'extirper pour de bon de cet enfer, et là, preuve pour moi que le film est une totale réussite, c'est que l'empathie pour le personnage de Bale est totale, avec un vrai soulagement pour lui.

Tout n'est cependant pas parfait, le film se poursuit avec des scènes de liesse parfaitement dispensables, et un happy end un peu longuet qui semble avoir été réalisé un peu à la va-vite, mais ça n'entache en rien la vision d'ensemble d'un film particulièrement grandiose qui ringardise à peu près tous les films du genre (dont voyage au bout de l'enfer dans sa partie Vietnam), et qui s'il n'invente rien (on a déjà vu des films d'évasion, des films de camps, et des films de jungle), constitue tout de même une expérience sacrément enthousiasmante grâce à son ambiance, à son immersion, à sa maîtrise totale de l'espace (on finit par connaître la géographie du camp par coeur tant il est bien filmé) et à sa simplicité.

Bref voilà un vrai chef d'oeuvre qui n'est sorti en France qu'en dvd (ce qui est probablement scandaleux), et qu'il faut impérativement voir en version originale!

PS : Je n'ai pas parlé de la BO de Klaus Badelt, qui est elle aussi une grande réussite avec quelques sublimes réminiscences de Popol Vuh
KingRabbit
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le 10 mars 2013

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KingRabbit

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