La grande réussite du film, c'est son personnage principal, qui marche à travers sa vie avec son long manteau noir et sa mâchoire crispée ; rugueux, froid, impassible. Sa froideur, son arrogance butée, sont le parfait réceptacle d'un sentiment d'échec et d'impossibilité que le film traîne de minutes en minutes. C'est ce qui offre au film un peu de mystère, qui le fait échapper au règlement de compte un peu facile, aux bonnes intentions - la plus belle scène du film étant l'engueulade au restaurant avec sa copine, où Saïd Hamich ose rendre son personnage antipathique tout en faisant en sorte qu'on le comprenne, tant sa violence sèche ne peut cacher autre chose qu'un sentiment blessé. Je trouve que le film touche parfois miraculeusement juste sur notre société, notre pays (on y revient). Mais le réalisateur échoue de façon assez révélatrice à nouer l'acuité de son regard à l'émotion que son récit appelle. Ce film devrait me déchirer, mais sa forme est trop instable, son rythme pas assez tendu, son montage parfois hasardeux. C'est assez problématique, mais particulièrement au début, j'avais du mal à saisir la singularité du film. Je ne voyais qu'un empilement de scènes démontrant (et non montrant) des vérités toutes faites - du genre : dans les familles maghrébines, c'est irrespectueux de commander du vin au restaurant ; sans que la scène ne parvienne à creuser le décalage qui s'installe entre Nassim et sa mère, dont le geste à ce moment là est pourtant d'une dignité exemplaire. Pis, je trouve que Bollène n'est pas filmée - des travellings en voiture, une petite musique, on ne sent pas le territoire crépiter. C'est aussi une manière de coller au personnage, certes, mais alors il y a un petit problème de point de vue - il est évident que son personnage se laisse plus traverser par ce qu'il voit que ce qu'il en dit, j'aurais aimé que la mise en scène creuse cette dialectique, mette en évidence cette complexité des rapports, au lieu de céder à des séquences de côte à côte toujours filmées d'un même axe, parfois au moyen de champs contrechamps assez laids, qui ne veulent pas dire grand chose. Je suis sévère car je pense que l'ambition du film pourrait donner quelque chose de splendide, mais le cinéaste ne maîtrise pas encore tout à fait son langage - la fin, par exemple, est piégée par l'attente, trop volontairement pudique, trop didactique, je n'y crois pas. Il ne manque en fait que du dosage pour conférer au film toute l'étendue de ses promesses. Quoi qu'il en soit, j'attends impatiemment le prochain - si prochain il y a, ce que j'espère beaucoup.