La question du rapport au passé est un point majeur dans la pratique du cinéphile. Ses goûts évoluent, ses centres d’intérêt se déplacent, et il arrive le moment où il doit différencier le plaisir lointain, lié à une époque révolue où la fraîcheur et l’inexpérience le rendait réceptif à tout ce qui lui tombait sous les yeux, de son regard actuel, analytique, exigeant et acéré.
D’où une certaine forme de sagesse qui consisterait à laisser certaines fulgurances dans leur écrin d’origine : il est des films qu’il vaut mieux ne pas revoir.
La question se pose aussi dans la transmission : vendre à sa progéniture un film comme culte et indépassable parce qu’il correspond à votre propre enfance, c’est prendre des risques ; mais aussi les inviter à sortir de leur zone de confort, et mettre à l’épreuve quelques monuments pour définir si, oui ou non, leur aura détient cette grandeur universelle et atemporelle.
Retour vers le futur se prête particulièrement bien à l’exercice, puisque le film questionne précisément cette thématique du temps : qu’est-ce qu’une période révolue, que dit le changement de code, de mode, l’évolution des mœurs.
Marty fait un bond de trente ans en arrière, jusqu’en 1955. Le regarder depuis 2016, c’est faire à peu près le même voyage, et pour ce qui est de l’archéologie cinéphile, force est de constater qu’on est face à du bel ouvrage.
Savant mélange entre le bricolage et le professionnalisme, entre le carton-pâte et l’immersion, Retour vers le futur est la recette parfaite en termes d’équilibre : l’humour, le didactique un brin parodique (les explications de Doc sont un modèle en terme d’enfumage scientifique), l’émotion et le spectacle composent le divertissement par excellence. Avec, au passage, quelques messages bien sentis sur les évolutions d’une époque à l’autre, le serveur noir étant voué à devenir maire…ou un acteur président, et un jeu assez délicieux avec la thématique de l’Œdipe…
C’est dans le sens du rythme et du détail qu’on détermine la véritable qualité d’une œuvre – et par conséquent sa capacité à traverser les époques. Sur le premier, le récit joue des montagnes russes avec un tempo d’enfer, alternant entre les amourettes insolites de papa et maman et les moyens de transport, de la DeLorean au skate improvisé, jouant de la foudre électrique comme carburant pour sa guitare ou son départ.
Sur les détails, c’est le plaisir d’un prologue saturé d’horloges, une reconstitution minutieuse d’un âge d’or des USA, et la pédagogie du Doc, ses maquettes et ses trajets qui donnent une lisibilité parfaite à l’action et ses enjeux. S’il fallait, d’ailleurs, comprendre la valeur des grands films des années 80 (Zemeckis, Lucas, Spielberg), et ce qu’ont perdu bien des blockbusters contemporains, c’est sur cette clarté du trait, cette capacité à dessiner l’espace et préparer une scène qu’il faut l’analyser. La maquette de Doc est l’exemple parfait de ce désir de faire comprendre au spectateur les enjeux d’une séquence, et de partager avec lui la jubilation qu’elle va procurer.
La nostalgie est un risque : on sera lucide sur le message du film, et ce qu’il révèle aussi de l’idéal yankee : la réussite finale passe par un consumérisme éhonté, et le fiston a droit à son 4x4 testostéroné en diable. Autorisons-nous le recul qu’il a eu sur l’époque de ses parents pour ne garder que les bonnes choses de cet archétype du bon film américain.
(8.5/10)