Rêve de singe par Alligator
J'aime beaucoup Ferreri. D'aucuns le dépeignent hâtivement comme un petit provocateur et cela me parait plutôt injuste. Il n'est pas seulement un provocateur. Ou alors il est un grand provocateur. C'est je pense un poète qui puise à la source de ses peurs et fantasmes une matière brute afin de dépeindre un monde gai et mélancolique à la fois. Cet homme a un univers bien à lui, des obsessions, des thèmes qu'il met en scène de manière provocatrice, certes, mais il n'empêche, ce sont des histoires qui lui appartiennent, des tableaux personnels et à nul autre pareil. Son humour particulier, noir, acide, glauque parfois, tend vers une certaine naïveté, presque puérile, qui rejaillit immanquablement de cette provocation facile et qui cache un réel malaise. Ses angoisses et ses rêves n'ont rien de gratuit, ni d'infantile, bien au contraire ils touchent par leur traitement plus ou moins frontal.
Ferreri et son conteurs -ici encore une fois Azcona mais surtout Gérard Brach- apparaissent comme des êtres sensibles, des petits garçons perdus, aux interrogations plus grandes qu'eux.
J'ai de prime abord été cueilli de découvrir que la version originale était en anglais (Marcello et Gérard ont bien du mal mais font un petit effort). Je ne sais quelle est la part de l'absence de sous-titres dans le sentiment de légère incompréhension sur les détails du récit, les enjeux cachés pour les personnages, les subtilités psychologiques, etc. Je ne crois pas avoir mal compris le film, mais plutôt que le fait de voir le film sans sous-titres a souligné en moi la difficulté à décrypter l'enchevêtrement des idées que véhicule le film, les idées absurdes, saugrenues ou symboliques qui parsèment le récit et qui par moments m'ont un peu laissé sur le bord du chemin. Je ne suis pas sûr du reste qu'il y ait une réelle signification, quelque chose de bien rationnel sur toutes ces idées de mise en scène ou narratives. Par exemple, au-delà de la difficulté du personnage de Lafayette (Depardieu) à s'exprimer pleinement, je ne comprends pas bien le sens du sifflet qu'il a souvent à la bouche. Je penche plus volontiers pour un sens esthétique, la beauté de l'idée et de son incongruité. C'est la même chose pour le King Kong sur la plage? Pourquoi ce grand singe? Quelle est sa signification? Je pense bien plutôt qu'il n'y en a pas -ça m'arrangerait bien, puisque je ne comprends pas, je me sens moins con évidemment- et que les auteurs privilégient là le fait de créer des images étranges et poétiques qui elles mêmes produisent des sensations chez le spectateur, un rêve incarné, peint, encadré pendant presque deux heures. Ils y parviennent les saligauds!
La thématique du monde en pleine déchéance revient souvent chez Ferreri, du moins dans ses films que j'ai déjà vus. C'était déjà le thème central d'un film qui m'a échappé complètement, La semence de l'homme. C'était également le cas pour La grande bouffe et Touche pas à la femme blanche qui m'avaient au contraire totalement conquis. La poésie de la chute. Les situations se dégradent non sans humour, un humour non de la justification, mais du désespoir, foncièrement triste, d'un pessimisme irrévocable.
Ce rêve de singe fourmille de ces moments pleins de hauteurs, de tendresse, de rires. Le film alterne avec d'autres temps, pleins de tragique, de pleurs et de malaises. Aussi vaut-il mieux prendre ce film pour ce qu'il est : une peinture verte et bleue d'abord, rouge et noire au final, avec toutes sortes de nuances ici et là, sous quelques coups de pinceaux tour à tour fins ou gros, d'un monde en perdition où les hommes ne trouvent plus leur place, ni les clefs de leur virilité. Les plages et les terrains vagues de la ville, en perpétuel mouvement, entre nature et main humaine, sont des déserts temporaires où la machine n'en finit pas de passer. Les hommes se font rares au pied du World Trade Center, grandes fûtaies de la jungle urbaine qui gronde au loin, alors que les rats pullulent, ici bas, promesse de mort ou d'enfer. Les relations entre hommes et femmes sont biaisées dans ce monde où les repères sont faussés.
On a droit à de jolis numéros de Marcello Mastroianni ainsi que de James Coco (merde, je vois qu'il a incarné le grand-père de Samantha Micelli! Vingt dieux!).
Le jeune Gérard Depardieu est un peu trop laissé en roue libre parfois. Sa gestuelle est un peu trop débridée à mon goût, manquant quelque fois de naturel.
La petite Gail Lawrence -dont l'essentiel de la carrière sous le nom d'Abigail Clayton s'est faite dans le porno semble-t-il, merci imdb- est fort jolie, c'est indiscutable : elle fait penser sous certains angles à la jeune Adjani. Mais la pauvrette manque de présence. Difficile de l'expliquer. Manque de conviction, de talent? Sais pas.
En tout cas, s'il n'est pas aussi maîtrisé dans la mise en scène et peut-être aussi un peu fouilli dans le scénario, le film projette de bien belles images par moments.